17 décembre 2011

Chronique de la crise (4) - Le tripolet


Le tripolet (prononciation anglaise de triple A, soit de la meilleure note AAA donnée par les agences de notation). 

Il est cocasse aujourd'hui de voir le gouvernement se préparer à la dégradation de la note de l'Etat français en en minimisant l'impact (Juppé estime que ça ne serait pas un cataclysme)  alors qu'il n'y a pas si longtemps, les ténors de la majorité accusaient Hollande ou Attali de tenir des propos irresponsables quand ces derniers suggéraient une anticipation de cette dégradation par les marchés.

Extrait du figaro du 10 novembre :

"La ministre du Budget, Valérie Pécresse, a qualifié aujourd'hui d'"irresponsables" les propos tenus par l'ex-président de la BERD Jacques Attali, qui a estimé que la France avait déjà perdu de facto sa note "AAA".

"Des propos de ce type sont irresponsables car ils sont faux : aujourd'hui nous faisons tout pour garder ce "AAA". Dire le "AAA" est déjà perdu, se réjouir déjà du pire, c'est irresponsable", a-t-elle clamé. La ministre a ajouté que c'était aussi "démobilisateur pour des Français à qui nous demandons de faire davantage d'efforts". "

Pour Valérie Pécresse, la perte du tripolet était alors le pire.

Depuis le dernier sommet de la dernière chance, on parle de la prochaine dégradation de la note de la France. De même que l'on parle beaucoup de la dégradation des relations entre la France et l'Angleterre. A la germanophobie s'est substituée l'anglophobie. Les deux sujets sont liés puisque c'est bien cette menace sur le tripolet français qui pousse certains membres du gouvernement à affirmer qu'il serait plus juste de dégrader la note de l'Angleterre plutôt que celle de la France. Sympa pour l'économie anglaise.

On a l'impression que le gouvernement perd un peu son sang froid après - ne disons pas l'échec - le peu de succès du dernier sommet de la dernière chance. 

La politisation de la crise par Sarkozy continue de creuser sa propre dette. Comme le lui reproche François Hollande dans le Monde : 

"...  le président-candidat se garde bien de consulter l'opposition. Il en appelle à l'union nationale, ce qui est cocasse venant de celui qui n'a cessé d'entretenir des divisions, et se prive, sur des questions essentielles, de l'avis de ceux qui pourraient être demain en charge du pays."

Si cette crise est bien la plus grave qu'ait connu la zone euro depuis sa création et menace l'Europe de dislocation, on ne comprend pas bien pourquoi le président Sarkozy n'ait pas effectivement convoqué autour de lui les forces politiques responsables afin de faire parler la France d'une seule voix, de trouver des solutions acceptées par tous, assumées par tous face à un danger terrible.

Si Sarkozy a finalement choisi d'utiliser la crise pour relancer une popularité perdue et espérer gagner l'élection présidentielle, choisissant la confrontation politique plutôt que l'unité nationale, profitant de la situation pour imposer une vision de la société que beaucoup rejettent en la présentant comme n'ayant aucune alternative possible, c'est bien que le président ne croit pas à la gravité de la situation, ou alors, s'il y croit, il manque de la grandeur nécessaire pour y faire face.

Dans les deux cas, il est en faute. Quant à Hollande, que peut-il bien faire ? Il n'est pas aux affaires. Il ne peut être que dans le commentaire. Il sait bien qu'il n'aura que très peu de marges de manœuvre s'il est élu. Il n'est pas stupide et quand il dit qu'il renégociera le traité (je me demande s'il croit vraiment qu'il y aura un traité. Pas sûr) c'est en précisant que ce serait pour y ajouter un volet relatif à la croissance. Ce dont nul ne conteste la nécessité.

On peut donc retenir cette semaine le scepticisme des marchés vis à vis des décisions prises lors du dernier sommet européen. Un traité ? Oui, très bien. Lequel ? Quand ? Signé par qui ? Autant d'interrogations qui ne rassurent pas face à l'urgence de la situation.
On peut également retenir l'erreur historique de Sarkozy consistant à se servir de la crise pour taper sur les socialistes. Il a perdu l'occasion de montrer qu'il pouvais être un grand président, au-dessus des polémiques politiciennes, capable de prendre la mesure de circonstances qui demandent de la hauteur. Il aurait fallu galvaniser la France dans sa diversité d'opinions, donner une perspective face aux efforts demandés, réunir tout le monde. Mobiliser plutôt que diviser. Aurait-ce été impossible ? Peut-être aurait-il fallu qu'il ne se représente pas. Qu'il laisse un Fillon se présenter à sa place. Il n'aurait pas couru le risque d'être accusé d'instrumentalisation. Il aurait pu ainsi se placer au-dessus des différences et faire accepter un certain nombre de décisions. Mais pour cela il aurait aussi fallu assumer un bilan plutôt négatif. Ça n'aurait pas été déshonorant. Quand Sarkozy a été élu, il n'y avait pas cette crise. 

Qu'a pensé Georges Bush le 11 septembre 2001 ? S'est-il dit : "je n'ai pas de pot" ? ou bien : "Voilà l'occasion que j'attendais "?
Ce qui est certain, c'est qu'en 40, au moment de la chute de la France, De Gaulle ne s'est pas dit :"Je n'ai pas de pot". Il ne s'est probablement pas dit "Voici l'occasion que j'attendais". Mais ce qui est sûr, c'est que c'était bien l'occasion qu'il attendait. Il l'avait écrit dans une dissertation à l'âge de 12 ans je crois.
Que semble s'être dit Sarkozy ? 
"Voici l'occasion d'en finir une bonne fois pour toute avec la gauche..."
Ce n'est pas vraiment du tripolet politique.

11 décembre 2011

Chronique de la crise (3) La notation allemande

Le sommet de Bruxelles des 8 et 9 décembre, sommet présenté comme d'habitude comme celui de la dernière chance, s'est terminé sur deux événements : Le projet d'un nouveau traité européen et la sortie consécutive de l'Angleterre de ce qui sera peut-être cette nouvelle Europe.
Il est possible que rien de tout cela ne se passe et que la dégradation de la note des états AAA - si elle intervient -  entraîne de nouvelles conséquences, de nouvelles décisions, bref de nouveaux sommets de la dernière chance.
Le traité de Maastricht prévoyait déjà que tous les Etats signataires s'engagent à ne pas dépasser un déficit représentant 3% du PIB faute de quoi ils s'exposaient à des sanctions. C'était déjà un traité de la rigueur et c'est bien pour cela que nombre de partis de gauche (PC en premier) y voyaient un empêchement de faire une politique alternative. Pourquoi ? Parce qu'embaucher des fonctionnaires, rehausser le SMIC, mieux s'occuper des chômeurs, des hôpitaux etc... ça coûte cher. Il faut creuser le déficit. Si c'est interdit, c'est plus difficile.
D'ailleurs, la France comme l'Allemagne ont dérogé à cette règle inscrite dans le traité de Maastricht. Les deux Etats ont à un moment décidé de passer outre le limite des 3%. Les meilleurs élèves de l'Europe se sont mis hors la loi (du traité). On peut se demander si ça n'a pas eu un très mauvais effet d'entraînement. On peut se demander aussi du coup quelle valeur va avoir ce nouveau traité.

Quand un Etat souverain décide de creuser son déficit parce que fort de sa légitimité démocratique il estime devoir le faire " à la demande de son peuple" par exemple, sur tel ou tel sujet, on peut se demander ce qui peut l'en empêcher. Un traité européen ? Il peut demander une dérogation. Une règle d'or ? Une constitution se change. Alors oui, c'est plus difficile de transformer la constitution que d'abroger une loi mais ce n'est pas impossible. Ce que je veux demander ici c'est : quelle est la nécessité d'adopter un nouveau traité?

Il y en a une évidemment : rassurer les marchés.
C'est comme si on disait aux marchés qui doutent de l'Europe, qui pensent que l'Europe est de moins en moins fiable et qui du coup ont de plus en plus de mal à lui prêter de l'argent, c'est comme si on leur disait:

"Oui, on sait, on a beaucoup dépensé, on s'est beaucoup endettés, malgré nos promesses de ne pas le faire. Oui, on sait, depuis quelques mois, on dit beaucoup de chose mais vous ne nous croyez pas. Et on vous comprend. Alors là, on va faire un truc fort, on va faire un nouveau traité contraignant qui nous interdit, mais alors là vraiment, pas comme à Maastricht, de dépenser et de s'endetter trop. On va le faire, promis, tout le monde promet (sauf les anglais), là vous ne pourrez pas dire qu'on ne fait pas d'effort pour redevenir fiable. Alors ? On est fiable ? Vous êtes rassurés ?"

Mais ce n'est pas le projet de traité qui est important.
C'est le rôle de la BCE.
En Europe on a une banque centrale, comme dans les autres grands pays, mais elle ne peut pas faire la même chose que les autres. Elle ne peut pas intervenir si il y a des problèmes. Incroyable!
C'est normal puisqu'en fait on n'est pas UN pays, on n'a pas une seule politique.
Mais c'est sûr que si la banque centrale européenne pouvait intervenir comme une banque centrale normale, les marchés, on pourrait les rassurer plus facilement.
Et tout l'enjeu est là.
L'Allemagne ne veut pas que la BCE intervienne si les états européens ne veulent pas se réformer, devenir plus sérieux, bref n'adoptent pas la règle d'or.
C'est compréhensible. On ne prête pas de l'argent à quelqu'un qui le dépense chaque soir au casino.

L'Allemagne dit à l'Europe : vous ne faites pas ce qu'il faut pour que la BCE puisse changer de statut et intervenir, ce qui serait la seule chance de rassurer les marchés et de sortir de la crise.
Alors on fait des trucs, on change des trucs et on se tourne vers l'Allemagne et on lui demande : Et là ? Ça va ? Maintenant la BCE peut se réformer ?
Bref l'Allemagne est en position d'agence de notation de l'Europe. Si elle est contente du prochain traité (quelle a poussé), alors la voie s'ouvrira pour une réforme de la BCE, ce qui ouvrira la voie pour un apaisement des marchés. Tout ça n'a pas besoin d'être concrétisé. Il suffit que tous soient convaincus que ça va se faire.

On peut se demander si justement ce n'est pas parce que l'Allemagne est en position d'agence de notation de l'Europe que l'Angleterre n'est pas vraiment dans l'Europe.
Alors on nous dit : La bonne gestion ce n'est pas allemand, ce n'est pas de droite, c'est juste de la bonne gestion. Et on ajoute :  dire que c'est l'Allemagne qui décide c'est faire de la germanophobie.
Ce n'est pas faire de la germanophobie que de décrire la réalité. Il ne s'agit pas ici de dire que c'est mal ou bien. Il s'agit de dire comment ça se passe.

Alors évidemment, aujourd'hui, la crise écrase le débat de la campagne électorale en France. L'UMP fait comme si il n'y avait pas de débat possible. Il y a ceux qui veulent bien gérer et ceux qui veulent mal gérer. Les premiers sauvent la France, les seconds la mettent en danger.
Ce débat est un leurre. Et d'ailleurs la question de la règle d'or en est une conséquence et la politisation de cette question par Sarkozy a interdit tout espoir de la voter avant les élections.
Il faudra quand même que François Hollande parvienne à imposer la bonne question, la question essentielle, celle qui n'est pas un leurre, la question politique, discriminante pour le choix du président : La bonne gestion, oui, mais pour quoi faire ?
Si la gauche ne parvient pas à recentrer le débat sur ce sujet, elle perdra l'élection.

PS : article éclairant sur le leadership de l'Allemagne en EUrope
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/11/l-allemagne-vraie-reussite-et-faux-modele_1616160_3234.html

06 décembre 2011

Chronique de la crise (2)

Deux événements depuis le dernier post : la rencontre Sarkozy-Merkel et la "mise sous surveillance négative" de la note des pays AAA de la zone euro, dont l'Allemagne et la France.

La rencontre d'abord. Elle accouche essentiellement d'un projet de traité. Un traité qui devrait obliger les pays de la zone euro à adopter une règle d'or. La règle d'or, en gros, consiste à rendre anticonstitutionnel un certain niveau de déficit public. Si tout se passe bien - ce qui est loin d'être certain - tout ceci ne devrait pas être mis en oeuvre avant plusieurs mois. Mais enfin, on peut imaginer que si tous les pays européens qui vont se réunir d'ici deux jours acceptent ce projet de traité, le message sera lancé aux marchés pour restaurer une certaine confiance.
Il y a une crise réelle et grave. Elle nécessite des réponses fortes et courageuses. Mais on ne peut s'empêcher de penser que cette crise est peut-être en train de sauver Sarkozy. Et le problème, c'est qu'il ne se cache pas d'en jouir. J'en veux pour preuve la politisation systématique de ses interventions, les attaques récurrentes contre l'opposition alors que la situation est très sérieuse. A l'écouter, les socialistes sont responsables de la crise en France. Ce qu'ils ont fait il y a dix ans et ce qu'ils disent aujourd'hui, voilà leur crime. Et en plus, ils ne veulent pas de la règle d'or. Ils seront responsables de l'échec si jamais le nouveau traité n'est pas adopté.
Ça me fait penser à ce qui se passe souvent dans la production cinématographique. Un producteur demande à son réalisateur de revoir son scénario ou ses prétentions de mise en scène parce qu'il ne parvient pas à trouver les financements exigés par le devis. Le réalisateur râle et accuse le producteur de baisser les bras, de ne pas être à la hauteur. Finalement il rompt avec lui et va chercher un autre producteur, refusant de revoir son ambition à la baisse. Le second producteur lui tient le même langage et là le réalisateur est obligé de s'incliner. Résultat le premier producteur a perdu le film qui se fait avec les ajustements budgétaires nécessaires.
C'est ce qui risque de se passer avec Nicolas Sarkozy. A force de ne rien dire de son bilan, d'avoir un discours si manipulateur, et à force finalement de politiser son action, d'instrumentaliser la crise à des fins électorales, le président sortant ne peut plus rien demander aux français. A force d'avoir été et de rester un idéologue il n'est plus en mesure d'obtenir la confiance nécessaire pour entraîner son pays sur la voie d'une douloureuse révision. Il est probable que si la règle d'or doit être votée un peu partout, la France la votera, mais pas sous Sarkozy et pas si c'est Sarkozy qui le demande.
C'est idiot, hein ? C'est la démocratie. Les dirigeants doivent garder la confiance des gens. C'est pourquoi il ne faut pas, même en des temps paisibles, trop exagérer, trop profiter du pouvoir. Parce qu'en temps de crise, on n'a plus trop de pouvoir.

L'action de Standard and Poor's.
Vous aviez déjà entendu parler des agences de notation il y a, disons, un an ? Que se passe-t-il ? Tout d'un coup, elles disent des trucs. Des trucs qui ont des conséquences terribles. Mais avant ? Elles ne disaient rien ou on ne les écoutaient pas ? (je veux dire, nous, les gens, qui ne travaillons pas dans la finance).
Les agences de notation sont là pour dire si celui à qui vous prêtez de l'argent est fiable. S'il a de bonnes chance de vous le rendre. Et donc elle notes les emprunteurs. AAA, c'est la meilleure note. Et donc, quand on est fiable, on emprunte moins cher. Parce que le risque se paie. Si vous prêtez à quelqu'un qui ne fait que jouer au casino, vous avez des chances de ne jamais revoir votre argent. Alors vous demandez cher pour prêter. Vous faites rémunérer votre risque. Donc, si la France par exemple perd son AAA, la meilleure note, elle empruntera plus cher. Et son déficits public se creusera encore plus. Et elle pourra encore moins investir dans des projets d'avenir. Bref,  ça serait un coup dur, même si on estime aujourd'hui qu'elle emprunte à des taux qui de toute façon ne sont plus vraiment AAA. Qu'importe.
Les agences de notation, on les entend parler. Elles ont toujours parlé. Elles ont toujours noté les Etats. Mais maintenant on fait attention. Je me demande quand même si elles ne commencent pas à ne plus se sentir maintenant qu'on les écoute. Elle disent à quelle condition elle pourraient donner une meilleure note.
La donne a changé. La situation a changé. Et donc je crois que le poids d'une agence de notation n'est plus le même. Sa fonction a changé. C'était une expertise. C'est devenu une prophétie, une pression.
C'est la preuve de la perte de souveraineté des Etats due à la mondialisation. La politique ne se décide plus vraiment à l'intérieur. Voir une agence de notation noter les projets de réforme devient réellement embarrassant. On dit : on ne tape pas sur le messager. Mais là, le messager en fait trop. La médiatisation des décisions des agences de notation a un effet. Un peu comme les acteurs qui deviennent célèbres. Souvent ils y croient. Ils sont dupes de leur célébrité. Et ils commencent à faire des choix pour de mauvaises raison.



04 décembre 2011

Chronique de la crise (1)


La semaine a été marquée par le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon. On nous promettait un grand discours qui nous expliquerait les raisons de la crise et les efforts à faire pour s’en sortir.
Un discours comme ça, ce n’est pas monnaie courante. Ça marque. C’est pour les grandes occasions.
Le discours du président a surtout été un discours de candidat en campagne, agressif envers son principal adversaire politique. Quant à la crise européenne, et le déficit public de la France, le candidat a voulu surtout n’en porter aucune responsabilité, rejetant la faute soit sur 30 ans de gestion tout gouvernement confondu, soit sur la gauche, ses trente-cinq heures et la retraite à soixante ans.
Nicolas Sarkozy a donc raté une occasion d’être un grand président, un grand chef d’Etat. Il est ce qu’il est : une bête politique.

Tout le monde sait que les dirigeants français et allemands ne sont pas d’accord. L’Allemagne, qui a déjà fait les efforts, ne veut pas payer pour les autres tant qu’elle n’a pas les garanties que les aides seront bien employées.
Ça me fait penser à Churchill en 40, à qui les français demandaient d’envoyer toujours plus d’avions pour défendre une France en déroute. Churchill ne voulait pas laisser tomber la France, alors il envoyait les avions mais il les perdait dans la catastrophe. C’était comme les jeter par les fenêtre. Alors à un moment il a dit stop. Il fallait bien qu’il en garde pour défendre l’Angleterre au cas où la France perdrait la guerre. Ce qui s’est passé. On lui en a voulu à mort. C’était juste du bon sens.
L’Allemagne, aujourd’hui, ne veut pas gaspiller ses forces en vain. Aider des pays qui n’offrent aucune garantie de désendettement ni de bonne gestion, c’est comme jeter l’argent par les fenêtres. Et gâcher tous les efforts que l’Allemagne a déjà faits.

On comprend bien que l’Europe ne peut s’en sortir qu’à mettre en place une plus grande intégration. C’est à dire en gros un gouvernement économique européen, et les mêmes règles budgétaires, fiscales, voire sociales pour tout le monde. Bref, soit l’Europe s’écroule, soit elle prend le pas sur les nations. C’est le fédéralisme.
Mais pour l’instant, Sarkozy et Merkel ne s’entendent pas là-dessus. Ils ne s’entendent pas alors qu’on doit changer de monde. Ils ne sont peut-être pas faits pour ce tournant historique.

Delors vient de faire une nouvelle sortie. Après celle d’il y a quelques semaines qui était alarmiste, maintenant il dit que l’euro était voué à l’échec. Je me demande s’il n’est pas devenu gâteux. En tous les cas, manifestement, il n’en a plus rien à foutre et parle comme si sa parole n’avait plus aucun impact. Ce qui est vrai.

Où est Hollande ? Après le discours de Sarkozy, tout le monde parle sauf lui. Il ne veut pas tomber dans le piège du discours de Toulon, à savoir se positionner par rapport à ce que dit son adversaire. Surtout qu’il ne s’est rien dit de très nouveau. Pourtant la crise a chamboulé les plans de campagne et les thèmes de campagne doivent être révisés. Je me demande si Hollande est très à l’aise en ce moment.
Le problème, on le connaît. Il n’y a pas de choix. Hollande et Sarkozy feront la même chose. Ils n’ont pas le choix. La différence se fera à la marge et sur la personnalité. Pour la politique, les solutions seront les mêmes. Tout le monde le sait.
Parmi les commentateurs de la crise en ce moment, palme à Dominique Reynié et Nicolas Beytout, invités récurrents de l’excellente émission de Yves Calvi, « C dans l’air ».

02 décembre 2011

Les bâtisseurs



Changer la société, c’était le crédo de la gauche française il y a 30 ans. Changer de société en France. Après Maastricht, le changement de société n’était plus possible si ce n’est en passant par l’Europe. Le combat ne pouvait plus se faire à l’échelle d’un pays. On ne pouvait plus changer tout seul. La mondialisation a détruit les dernières illusions. Ce n’est plus l’Europe qu’il faudrait convaincre mais les Etats-Unis, la Chine et tous les pays émergents. L’espoir de changement est devenu une vraie utopie.

La crise européenne actuelle parachève le mouvement. Non seulement il ne s’agit pas de changer mais il s’agit au contraire d’aller plus avant dans ce qui était combattu : la domination de l’économie sur la politique, la soumission aux marchés, l’abandon de souveraineté qui interdit toute remise en cause des structures sociales et économiques.

En 1989 le monde choisissait définitivement l’économie de marché, aujourd’hui il doit en assumer toutes les conséquences, sous peine de chaos.

Oui aujourd’hui c’est le chaos et son cortège de souffrances qui nous attend si nous n’adoptons pas les dispositifs inscrits en gésine dans le traité de Maastricht. Bref, l’espoir de changer de société est bien mort. Ceux qui voudraient le dénier nous entraineraient avec leurs illusions ou leurs mensonges dans la tourmente.

La primaire socialiste a d’une certaine manière validé cette mort de la gauche d’il y a trente ans. Et si François Hollande l’a emporté sur Martine Aubry c’est bien que le déni n’est plus tout à fait de mise.

En fait depuis quelques années, la gauche était devenue une gauche de résistance. Freiner l’inéluctable, s’opposer à tout ce mouvement, revenir sur ce qui avait été fait. La gauche avait pris acte de son incapacité à inventer une alternative. Elle pouvait au moins ralentir le processus. C’est pourquoi elle apparaissait comme réactionnaire.

La gauche de résistance est morte également, avec la crise de la dette. On lui dit maintenant qu’on ne peut plus freiner, hésiter, revenir en arrière. La gauche ne voulait pas prendre ce bateau. Elle voulait le faire revenir au port. Maintenant, en pleine mer, le bateau prend l’eau. On a le choix entre le colmater puis le renforcer ou rentrer à la nage.

Dans cette situation, faut-il persévérer dans le déni, coûte que coûte, ou céder à la désespérance ? Faut-il paniquer, ou au contraire saisir l’occasion qui nous est donnée de bâtir à travers l’Europe quelque chose de nouveau ?

Lors des moments de crise comme celle que l’on connaît, le combat idéologique n’a pas vraiment de sens. On a d’un côté les partisans du chaos, ceux qui pensent pouvoir profiter de l’effondrement pour construire leur cathédrale improbable, et de l’autre côté ceux qui, loin des idéologies, proposent des solutions pour éviter le naufrage.
Pourtant ce sont bien les crises qui induisent les changements de structure. Et ce sont les hommes – et non les idéologies -  qui peuvent guider les peuples dans ces changements angoissant où les repères s’effondrent.
Hors des crises les idéologues prennent la parole et parfois le pouvoir. Ils inventent des trucs comme les trente-cinq heures ou le bouclier fiscal. Des trucs qui correspondent à leur vision fantasmée de la réalité.

Sarkozy a été un idéologue, ce qui l’a empêché d’être un visionnaire. C’est son idéologie qui a creusé la dette au moment où déjà certains anticipaient la catastrophe actuelle. Il reste manifestement un idéologue. Aucune de ses interventions n’échappe à la mesquinerie du combat politicien. Son discours de Toulon 2 en atteste. Là où on attendait un homme d’Etat responsable, on a eu un candidat englué dans l’agressivité.

François Hollande est-il un idéologue, un politicien ? Les derniers soubresauts de sa campagne semblent dire le contraire. Il a su se dégager de l’emprise idéologique des écologistes et peu à peu il se dégage courageusement de celle de ses amis socialistes. Son principe de « donner du sens à la rigueur » est ce qu’il y a eu de plus sensé et de plus juste à dire sur le sujet. Mais ce n’est pas suffisant.

La situation exige aujourd’hui l’émergence de bâtisseurs. Ceux qui sont capable de nous guider, de nous offrir la perspective d’une nouvelle édification européenne qui prendrait acte de ses faiblesses et oserait surmonter la perte des repères. Nous ne pouvons plus changer la société mais aujourd’hui nous allons devoir changer de monde. Seuls des bâtisseurs peuvent nous en convaincre et nous accompagner. Nicolas Sarkozy n’est pas un tel bâtisseur. Si le couple franco-allemand est tant à la peine. Si le dialogue entre Sarkozy et Merkel est si laborieux, si difficile. Si nous courons toujours derrière la crise, à bout de souffle, c’est parce qu’ils ne sont pas à la hauteur. Ce sont les dirigeants d’un monde stable et non ceux d’un monde qui bascule.

François Hollande, s’il n’est pas un idéologue, pourrait-il être un bâtisseur? C’est l’enjeu tout récent mais majeur de la prochaine élection présidentielle.

12 octobre 2011

Le choix



Il semble acquis aujourd’hui que le président sortant soit rejeté par une grande majorité de français et, sauf cataclysme possible, qu’un second quinquennat lui soit refusé. Qui que ce soit qui se présenterait en face de lui, pourvu qu’il soit un peu sérieux, aurait toutes les chances de devenir le prochain président de la République.
C’est sur la base de cette supposition que nous assistons cette semaine à une situation pour le moins étonnante : le chantre de la démondialisation et de la sixième république soumet les deux finalistes de la primaire socialiste à un chantage intellectuel et politique. D’aucuns plus modérés diraient : une simple pression légitimée par ses 17% du premier tour. Et nous voyons ces deux finalistes en difficulté d’avoir au mieux à ne pas vexer ces électeurs si précieux en vue de la victoire finale.
Le présupposé est faux.
La situation qui en résulte est grotesque.
Et le résultat risque bien d’être un amusant - ou tragique - paradoxe : la victoire du président sortant.
Nicolas Sarkozy n’est pas en campagne. Aujourd’hui seule la gauche parle, martèle ses arguments au risques de les user. Seuls des lieutenants zélés et maladroits répondent aux critiques. De toute façon, la campagne n’a pas commencé et l’action du président en tant que tel n’est pas terminée.
Aujourd’hui, il n’y en a un seul qui trime face à une crise financière et économique angoissante, pesante, qui a changé les termes du débat à venir, ne serait-ce qu’en éclairant d’une lumière crue, entre autres, le thème pas très sexy du déficit budgétaire.
Quand il sera temps pour lui de s'intéresser à sa réélection, il lèvera la tête et, fort de ses succès ou de ses efforts, sortira les crocs. Et tout le monde sait qu’il en a.
Quoiqu’on dise, son bilan n’est pas catastrophique. Aujourd’hui certes personne ne le défend. Bien naïfs seraient ceux qui pensent qu’il est indéfendable.

C’est d’une illusion d’optique que l’on puisse inférer qu’une gauche «dure»parce que ragaillardie par l’espoir d’une chance historique soit en mesure de l’emporter contre la droite. Une illusion d’optique et une catastrophe annoncée.
La gauche dure (quand on accuse son adversaire d’incarner une gauche molle on se réclame par là même de la gauche dure), c’est à dire la gauche d’hier, de l’union de la gauche, des nationalisations, des trente cinq heures, de la démondialisation (et pourquoi pas de la désinternetisation pendant qu’on y est ?  comme si la mondialisation était un système politique !), la gauche du «non» à l’Europe, cette gauche, aussi séduisante et romantique soit-elle, cette gauche va perdre. 
On ne croit pas à sa défaite car elle a l’air forte. Mais elle est simplement la seule à parler. Celui qui devrait lui répliquer a aujourd’hui autre chose à faire. Elle est seule à parler et, sans contradicteur, donne l’illusion d’avoir raison.
La gauche dure est agressive, conservatrice. C’est une gauche d’appareil et d’apparatchiks.
La gauche dure a l’air forte mais elle est faible.
Et elle va perdre.
C’est pourquoi ceux qui pensent que malgré un bilan défendable, le président sortant a trop fait preuve lui aussi de dureté, de rigidité idéologique (voir les premières décisions de son quinquennat), de démagogie dangereuse et a connu des échecs cuisants sur ce qui faisait quand même ses principaux thèmes de campagne (sécurité, pouvoir d’achat), ceux qui souhaitent le changement, qui le souhaitent réellement, c’est à dire qui veulent y œuvrer efficacement et non pas dans la douce illusion d’un monde idéal, ceux-là devraient faire le choix du seul qui incarne aujourd’hui cet espoir d’une gauche non pas dure mais concrète, non pas molle mais pragmatique, qui n’agresse pas mais écoute, qui ne propose pas une liste désordonnée de tout ce qui serait bien de faire mais se fixe un objectif simple, large et lisible relatif à la génération qui vient, qui ne calcule pas, ne complote pas, ne pactise pas mais avance sereinement, une gauche qui ne cherche pas à sa manière une nouvelle fracture mais au contraire un vrai rassemblement, bref une gauche moderne, une gauche qui gagne.
Ceux-là devraient à la primaire faire le choix de François Hollande.

06 octobre 2011

Pour François Hollande


Chaque élection présidentielle voit s’affronter au deuxième tour un candidat de droite et un candidat de gauche, excepté l’épisode étrange de 2002.
En 2012 le candidat de droite sera Nicola Sarkozy sauf cataclysme improbable du type affaire DSK.
En face de lui on peut raisonnablement parier que, comme à chaque fois, le candidat de gauche sera issu des rangs du Parti Socialiste.
Mais nous ne savons pas lequel et il nous est donné pour la première fois de le choisir. Pour la première fois, le candidat socialiste ne nous sera pas imposé par un parti, à l’issue soit d’une bataille d’appareil, soit d’un vote interne au parti, soit de ce que s’impose tout naturellement une personnalité incontestée.
Pour la première fois nous pouvons évaluer la popularité, l’intérêt, les chances de victoires de celui qui représentera une alternative à Nicolas Sarkozy.
Cela veut-il dire, en creux, qu’aucune personnalité évidente ne s’est imposée ? Oui, certainement, sinon l’idée même de la primaire n’aurait probablement pas émergé.
Faut-il le déplorer ? Faut-il même se sentir abattu, pour ceux qui souhaitent une alternance, de ce qu’en face du président sortant à la personnalité forte, aucun père (ou aucune mère) ne s’impose ?
Nous en avions un, de père. C’était DSK. Et il est mort en tant que tel.
Le destin a voulu finalement que nous soit épargnée une situation que nous avons connue auparavant : le choix par la fascination, une fascination quasi hypnotique, nous laissant aveugles aux défauts, aux casseroles, aux risques. Le destin a voulu que nous choisissions le candidat du second tour de la présidentielle parmi des personnalités qui ne sont ni charismatiques, ni fascinantes, auxquelles nous ne pouvons vouer vénération. Nous allons voter par raison.
Je ne dis pas sans enthousiasme. Mais certainement par raison.
Alors qui ? Puisqu’aucun ne s’impose ?
D’abord - logique de ce vote à la primaire - celui qui a le plus de chance de battre Sarkozy. Donc celui qui a le plus de chance de rassembler. 
Il s’agit évidemment de François Hollande.
Quand Nicolas Sarkozy va entrer en campagne, n’en doutons pas, ne doutons pas de son talent et de son intelligence politique, il va retourner tous les pronostics. Je pense qu’il ne ferait qu’une bouchée de Martine Aubry. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas voulu y aller, parce qu’elle représente une gauche vieille école, qu’il sera facile de taxer de réactionnaire, de conservatrice, parce qu’elle est entourée de radicaux qui entachent sa crédibilité, parce qu’elle est la candidate de l’appareil.
A l’inverse, François Hollande s’est émancipé de cet appareil, il est là depuis le début, il le veut, il est entouré de gens plus modernes, plus crédibles. Nulle doute que Manuel Valls viendra grossir ses rangs à l’issue du premier tour.
On dit de lui qu’il est mou...
Où ça ? Où est-il mou ? Il ne fait pas rêver ? Sarkozy fait rêver ? 
On dit qu’il est trop modéré... Tant mieux !
En revanche, qui pourrait dire qu’il n’a pas de volonté ? Ni de détermination ? 
Alors son projet...
Ce n’est pas contrairement aux autres qui égrènent les mesures, qui veulent s’occuper de tout, bref, qui ne hiérarchisent rien, et qui ont, par là-même, finalement, un discours de ministre, ce n’est pas une liste d’idées, de thèmes, de souhaits.
C’est une priorité : la jeunesse.
Pourquoi pas ?
J’entends son discours : La crise, oui, le déficit, oui, les comptes, oui, les retraites oui, tout ce que vous voulez, on va travailler, on va essayer de trouver des solutions, ça va être difficile, ce n’est pas gagné, on va en chier, mais...
... Jamais au détriment de l’éducation et des perspectives pour la génération qui vient.
Moi je trouve ça bien. Parce que je sais que tout n’est pas possible. 
Eh bien je trouve ça bien qu’on me dise qu’on met le paquet sur un thème et que ce thème ce soit la jeunesse. Même si je trouve que ce mot «jeunesse» n’est pas le bon. 
On met le paquet sur nos enfants. Oui c’est bien et pour le reste on voit, on essaie de faire au mieux. Oui c’est bien.
Le style finalement...
«Normal», vous avez dit «normal» ? Oui. Je sais, on s’en moque, on s’en décourage, on s’en déprime même.
Un président normal est un oxymore. Le président de la république ne peut être un homme normal. Ça ne peut être qu’un monstre d’ambition, ayant soumis son propre parti avant de soumettre l’électorat, se sentant apte à diriger, à endosser l’énorme responsabilité de la fonction, un animal politique coriace, sauvage, de ceux qui savent sentir le vent, aux intuitions guerrières fulgurantes.
Quel peut être alors le sens d’une présidence normale ?
Il s’agit justement de tempérer les menaces inhérentes à ce que peut être une personnalité présidentielle.
Une présidence normale, ce n’est pas un oxymore, c’est un équilibre.
Et l’idée de devoir choisir au second tour entre un ogre politique, de ceux qui nous déçoivent, qui nous trahissent, qui nous embarrassent, et un candidat choisi par raison, pesé, évalué, c’est à dire finalement un candidat «normal», cette idée est finalement séduisante. Nous n’aurons pas alors à choisir seulement entre deux personnalités, ou entre deux idéologies ou entre deux propositions. Nous auront également à choisir entre deux types de figure présidentielle, et donc entre deux types de relation qui unit un peuple et son dirigeant élu.
Alors j’ai dit que François Hollande était une personne intelligente, sympathique et saine.
Oui ça me va. 
Ce que je redouterais en fait, à partir d’aujourd’hui, c’est qu’il change trop. Qu’il devienne ce qu’il n’est pas : un monstre politique, un homme d’appareil un idéologue, quelqu’un qui a peur de perdre, qui navigue à vue, qui perd son cap.
Mais pour l’instant, de raison et avec un sentiment apaisé, j’aimerais bien que ce soit lui qui s'oppose au président sortant et ensuite qu'il devienne le prochain président de la République. Je vais donc voter pour lui à la primaire. 

28 août 2011

Pourquoi je vais voter François Hollande à la primaire socialiste.


Pourquoi je vais voter François Hollande à la primaire socialiste.
Je ne suis pas de droite. Je ne suis plus de gauche.
Je n’ai pas voté Sarkozy il y a cinq ans. Le bilan du président de la république n’est pas désastreux. Il n’est pas satisfaisant non plus. Ses slogans de campagne, en particulier, ses propositions qui lui ont valu la victoire, ont quasiment tous abouti à l’échec : sécurité, pouvoir d’achat (travailler plus pour gagner plus), fiscalité des plus aisés, ministère de l’identité nationale !
Je ne veux pas cinq ans de plus avec lui.
La gauche me déçoit depuis longtemps. Elle est devenue réactionnaire. Benoît Hamon en porte parole du PS quand Ségolène Royal avait presque gagné la bataille pour devenir première secrétaire. Cette bataille d’appareil douteuse et embarrassante.
J’avais l’intention de voter Strauss-Kahn…
Aujourd’hui, parmi les options offertes, celle de François Hollande me paraît être la meilleure.
Il a su sortir de cette logique d’appareil qui fait ressembler le parti socialiste à une structure d’un autre temps. Il s’est entouré des moins conservateurs : Moscovici, Dray, Peillon… Il propose une vision réaliste, sérieuse. Il est lui-même quelqu’un de très sympathique, intelligent.
Ce n’est pas un visionnaire, certes. Aujourd’hui sa campagne, son discours ne s’appuient pas sur quelques idées très fortes qui font vibrer. Pas encore, ai-je envie de dire. Mais à défaut, il ne dit pas de bêtise, il ne délire pas, il n’est pas soutenu par des gens qui nous ont habitué aux mauvais coups, à la démagogie, aux revirements malsains.
Je pense qu’il fera un bon président et qu’il saura résister à la corruption par le pouvoir.
Ça nous changera, ça nous apaisera.  Il est ouvert, à l’écoute. Ce n’est pas un idéologue.
Aujourd’hui, je pense qu’il est la meilleure solution pour l’élection présidentielle.
Je pense aussi que c’est celui qui a le plus de chance de gagner contre Sarkozy. La gauche votera à gauche. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi le centre. Et le centre ne votera pas Aubry. Sarkozy sera très fort quand il commencera la campagne.  Il saura parfaitement stigmatiser le conservatisme de gauche. Et Aubry, affublé de Fabius, Hamon et les autres aura bien du mal à le contrer. Hollande est armé pour cela. Il est clair et paradoxalement, il est neuf. Il représente la meilleure chance de ne pas rempiler pour cinq ans de sarkozy, de Guéant, de Besson.
S’il perd la primaire, je ne sais vraiment pas ce que je vais faire et je crois que je ne suis pas le seul. C’est pourquoi je le soutiens aujourd’hui. Je trouve bien qu’on puisse choisir notre candidat de l’alternance. Je ne veux pas rester sans rien faire et attendre qu’on m’impose une personnalité.
J’aimerais qu’au second tour, François Hollande parvienne à rallier Manuel Valls. Ça me semblerait logique et prometteur. Je ne doute pas qu’il y parvienne. Je ne vois pas Valls faire campagne derrière Aubry et ses soutiens.
Alors voilà. Je ne suis pas socialiste. Je n’ai pas de soucis à me proclamer sympathisant de gauche s’il le faut pour voter aux primaires, comme je n’ai pas eu de soucis pour voter Chirac contre Le Pen. Il n’y a pas de honte à ça. J’ai beaucoup de sympathie pour François Hollande qui vous regarde dans les yeux quand il vous serre la main sans chercher les photographes. C’est un signe. Il est sain.

23 août 2011

Un deuil violent (6 et fin)



La vérité
La vérité judiciaire a été proclamée.
Certains s’en trouvent frustrés. « On ne saura jamais la vérité » disent-ils. Quelle vérité ? Celle qui peut-être essaiera de se frayer un chemin lors de l’hypothétique procès civil ? Il s’agira alors de la parole de l’une contre la parole de l’autre. La vérité éclatera-t-elle vraiment d’une confrontation de récits ? Il est probable que non. Deux scénarios s’affronteront et l’abandon des charges pour le procès pénal révèle qu’on ne saurait attendre des éléments matériels une quelconque aide pour savoir ce qui s’est réellement passé.
On dit aussi : « la vérité, seules deux personnes la connaissent. »
Est-ce si sûr ? On s’accroche parfois à ses propres mensonges. On y croit sans réserve et on pourrait parfois mourir pour eux. Quand le mensonge va si loin que la vérité peut être létale, le mensonge devient la vérité au nom de laquelle on luttera à mort.
Ce dont ils ont été les protagonistes, peut-être le savent-ils, peut-être ne le savent-ils plus. L’un ment peut-être, oui, c’est possible. On aimerait le croire finalement. Une illusion qui nous resterait après ce maelström de fantasmes. Mais rien n’est sûr et il est également possible que chacun croit à sa vérité sans avoir le sentiment de se mentir ni à soi-même ni aux autres.
Ce qui est sûr, c’est que la vérité judiciaire, elle, a été dite. C’est celle qu’on a aujourd’hui. Et elle nous place devant un immense gâchis, et une véritable honte de ce que peut nous offrir le monde médiatique contemporain.
Le père.
Il a été tué, sans aucun doute. Lui qui voulait toutes les femmes, lui qui pouvait s’offrir toutes les femmes. Lui qui avait le savoir de ce qu’on vit (économie mondiale), lui sur lequel reposaient tant d’espoirs en France. Un espoir de père, de quelqu’un qui nous protège de l’inévitable mondialisation, qui sait y faire et qui serait quand même bienveillant (de gauche).
Il a été tué et la jouissance qui a accompagné le meurtre était à la mesure du traumatisme. DSK était juste un homme ? Il a eu tort de le croire. Non, c’était le père. 
Nous ne voulons pas du père. Nous le voulons mais nous ne le voulons pas. Nous préférons l’un des nôtres. Même s’il nous laisse totalement insatisfait. Sarkozy, par exemple. Celui qui aime l’argent (en tous les cas qui n’en a pas honte), celui, parmi nous, qui a la volonté, la détermination, l’envie. Celui qui est ambitieux, autoritaire, colérique. Celui qui s’agite, parfois pour le succès, parfois pour l'échec. Sarkozy est des nôtres. C’est pourquoi on peut lui en vouloir d’ailleurs. Il a nos défauts. Alors qu'il a le pouvoir.
Mais le père… Celui qui va nous apaiser, celui sur qui on va se reposer, celui qui fort de l’autorité, du savoir, de l’expérience acquise au FMI allait revenir à la maison s’occuper de nous… Celui-là, il aime les femmes dit-on. C’est normal. Le père aime les femmes. Il n’est pas castré comme nous. C’est le père de la horde primitive de Freud.
Eh bien celui-là, on l’abat. C’est la curée. Il prête le flanc et on le coupe en deux.
Le plus cruel, bien sûr, c’est qu’il l’ignorait. Il ignorait ce qui se tramait. C’est peut-être sa faute. Sa vraie faute.

01 juillet 2011

Un deuil violent (5)


Les accusations contre DSK vont-elle s’effondrer ?
Non, ce n’est pas une sidération de plus. Cette possibilité était inscrite dans l’évènement lui-même.
Cet évènement prend un nouveau sens aujourd’hui. Et nous commençons à apercevoir quel monde se jouait dans cette chambre d’hôtel.
L’immédiateté de l’information et la négation de la pensée
Nous avons appris que nous pouvions être informé seconde par seconde grâce à Twitter. Les faits bruts : un homme devant le tribunal, la rumeur puis le discours de l’accusation, le seul discours audible alors. Nous étions façonnés par ces informations. Sommés de penser au rythme d’Internet, nous nous sommes essoufflés et nous avons commenté, au fil des minutes, une réalité fantasmée, manipulée, faite des désirs et des craintes de chacun.
La vertu d’Internet a une face cachée : la négation de la pensée. On ne pense pas un événement dont on suit le déroulement à la seconde. Les journalistes sont les penseurs d’aujourd’hui, ce qui est un drame.
La machine à blabla…
Elle s’est mise en route immédiatement. Pour calmer nos angoisses nous avons eu besoin de commenter, de débattre, de tout et de n’importe quoi : le viol, l’arrogance des puissants, le machisme des politiques.
J’ai dénoncé dans l’émission « Ce soir ou jamais » le caractère à charge de ces débats. Débattre du viol à l’occasion d’une affaire dont on ne savait rien était déjà condamner DSK. Le procès a été continuel.
Les médias ont surtout parlé d’eux-mêmes. Exercice d’égocentrisme exacerbé : le débat a essentiellement porté sur leur responsabilité. Et nous avons assisté médusés et impuissants à cette obscénité intellectuelle.
La jouissance d’abattre les puissants
Elle est universelle. La démocratisation de la parole libérée par Internet, la rapidité des échanges d’informations rend les puissants vulnérables dans la bataille de l’image. L’occasion ne saurait être manquée, fut-elle colorée de fantasme. Ce qui en dit long sur la frustration liée à la démocratie. Nous haïssons nos dirigeants, nous les haïssons de nous diriger alors même qu’ils nous doivent leur place. Nous ne voulons rien savoir de la difficulté de décider dans un monde complexe. Non. Nous voulons que ce soit simple et nous condamnons par avance l’esprit de responsabilité qui nous frustre de nos désirs et de nos illusions. Nous faisons payer cet esprit de responsabilité au prix fort : celui de pouvoir être détruit en une seconde dès que l’occasion de présente.
Le drame de l’absence d’éthique
L’éthique, tel était le véritable enjeu de toute cette affaire. Nous ne savions rien, nous n’entendions que l’accusation mais nous avions besoin de parler tant l’événement était traumatique. La suspension du jugement était alors une question d’éthique. Savoir de quoi on parle, faire attention aux mots : ce que les médias ne peuvent savoir faire. Cette affaire a été pour nous un vrai drame éthique.
L’avenir nous dira comment on se remet d’un tel événement. Nous, ceux qui avons été sidérés le jour de l’arrestation, qui avons été volés d’une perspective politique.
Les leçons a tirer sont multiples, complexes et essentielles. C’est un évènement majeur dans la conscience collective française. Et les conséquences en sont aujourd’hui incalculables. Mais ce qui est certain c’est que des comptes seront à rendre. Des comptes de la pensée. On n’est pas contemporain d’un tel événement sans rendre de comptes. C’est un nouvel enjeu éthique.



17 juin 2011

La métaphore cinématographique (introduction)


La métaphore cinématographique
Introduction

Convenons que le cinéma est un langage, c’est à dire une suite articulées de signes - disons pour faire simple de signes audio-visuels.
Convenons qu’un signe est une unité linguistique composée d’un signifiant (le support matériel du signe) et d’un signifié (le concept ou l’idée).
Que le signe cinématographique soit l’image, le plan, la séquence ou tout autre chose importe ici peu. Le signe cinématographique est complexe.
Il y a un débat aujourd’hui parmi les sémanticiens sur le sens des phrases. Ont-elles un sens « objectif », c’est à dire un sens déterminé par la structure sémantique (voire logique) de la phrase ou leur sens ne peut-il s’appréhender qu’en contexte (déterminé par des éléments extérieurs à la phrase) ?
Les contextualistes contestent la prédominance, voire même l’existence, d’un sens de la phrase hors du contexte, d’un sens objectif, bref d’un sens littéral.
Je pense également que n’importe quel mot peut prendre le sens qu’on veut selon la série dans laquelle il s’insère, selon la phrase, voire le discours, et sa place dans la phrase.
Le mot gifler peut prendre par exemple un sens élargi (« Le vent m’a giflé ») ou même éloigné de ce qu’on peut supposer être son sens littéral (donner une gifle, c’est à dire frapper le visage du plat de la main). Exemple : « l’amour m’a giflé ce jour-là. »
On peut même imaginer un contexte sémantique dans lequel le verbe « gifler » peut prendre le sens opposé de son sens conventionnel : « ses caresses giflaient littéralement mes sens, je voulais qu’elle me gifle encore ». Dans cet exemple la seconde occurrence de « gifler » signifie « caresser ».
Nous voyons ici qu’un mot n’a un sens déterminable qu’à se placer dans une série. (Une série de mots et d’éléments contextuels ).
Quelle que soit la définition du « mot » cinématographique, le langage cinématographique fonctionne de la même manière. Un signe, ou une unité signifiante cinématographique ne prend son sens qu’à l’intérieur d’une série et n’importe quel signe peut venir signifier n’importe quoi selon la nature de la série et la place où il s’y insère.
Ce phénomène, appelons-le métaphore cinématographique. La métaphore se définit comme étant la substitution d’un mot par un autre, ou d’une séquence linguistique par une autre à l’intérieur d’une série obéissant à une syntaxe.
« Qu’un sang impur abreuve nos sillons »
Le mot « abreuve » est une métaphore (cf Jakobson).  Là où on pourrait attendre « remplir » vient un autre mot qui a la même fonction - et surtout la même place -  tout en apportant un enrichissement de sens (personnifie le sillon, apporte la notion de soif, etc)
L’effet de surprise de la substitution enrichit le sens, et même crée un sens nouveau.
La métaphore restitue au rapport entre les mots et les choses la part d’énigme qui est garante de la vérité.
Si le but du cinéma est (comme la littérature) de dire la vérité sur la vie, l’existence ou toute chose qui la compose, les sentiments, les actes, les personnes), il ne peut le faire, comme dans la littérature ou la poésie, que par et malgré le langage.
Nous allons au cinéma pour – entre autre – en apprendre sur nous même. A travers le regard d’un autre, nous découvrons un nouveau sens à ce qui nous échappe sans cesse. Qu’est-ce que l’amour ? La cruauté ? La jalousie ? Qu’est-ce que vivre ? Espérer ? Qu’est-ce que l’ambition ? L’angoisse ?
Bref, nous allons chercher des réponses dans les livres et dans les films et ce n’est que grâce au pouvoir de la métaphore que nous les trouvons. La surprise de la substitution signifiante nous donne une nouvelle couleur, une nouvelle lumière et finalement un nouveau sens.
C’est pourquoi il me semble essentiel de définir et d’étudier la métaphore cinématographique pour qui veut user du cinéma pour atteindre une quelconque vérité.
Le concept de métaphore cinématographique est très puissant pour l’écriture d’un scénario et la réalisation d’un film.  Il doit être bien défini, délimité, analysé. C’est ce que je voudrais faire dans de prochaines contributions.

10 juin 2011

Hollande

L'enjeu véritable des primaires du parti socialiste est de choisir le candidat susceptible de faire gagner la gauche à l'élection présidentielle. Nulle doute que le candidat qui sortira victorieux de ces primaires sera celui qui aura le mieux convaincu de sa capacité à battre Sarkozy au seconde tour de la présidentielle (je considère comme acquis le fait qu'il batte Marine Le Pen dans le cas d'un 21 avril à l'envers).

On peut penser que l'effet de sidération provoqué par l'affaire DSK était à la mesure de cette conviction : la stature et le positionnement politique de DSK le faisait apparaître comme la meilleure chance d'alternance. Unanimement reconnu comme ayant été un bon ministre des finances, le passage de DSK à la présidence du FMI a achevé de le faire apparaître comme un homme d'Etat qui prend en compte les réalités sans abandonner ses convictions. Brillant technicien, volontaire, déterminé et doué d'une vision orientée à gauche sans verser dans le conservatisme. Son positionnement politique à la droite du PS lui permettait d'espérer rallier les centristes mécontents du président sortant, les électeurs séduits puis déçus par Sarkozy, ainsi que les électeurs de gauche qui préfèreront un homme de gauche - fut-il jugé trop à droite - plutôt que de donner une nouvelle victoire à Sarkozy.
La personnalité qui remportera la primaire du PS sera celle qui s'approchera au plus près de ce profil de gagnant.
Aujourd'hui, nous pouvons penser que cette primaire se jouera entre François Hollande et Martine Aubry si cette dernière se présente ce dont on ne saurait douter.
Je pense que les électeurs de gauche sont acquis au candidat socialiste pour le second tour de l'élection présidentielle. Le quinquennat extrêmement politique de Sarkozy (rappelons qu'une de ses premières mesures était une mesure idéologique : le bouclier fiscal) le disqualifie aujourd'hui pour prétendre échapper à une polarisation dure de l'électorat. Le peuple de gauche votera contre lui et les sondages favorables à DSK en attestaient.
Il semble clair que l'élection se jouera sur la capacité à séduire les électeurs qui se situent aux centres gauche et droit. Et si le rejet de Sarkozy peut jouer, il sera tempéré par l'habileté du président sortant et son dynamisme. Une fois déclaré, nulle doute qu'il remontera dans les sondages et la bataille sera rude.
Je ne crois pas aujourd'hui que l'électorat du centre puisse être séduit par Aubry, soutenue par l'appareil du parti socialiste, et en particulier son aile gauche et eurosceptique.
François Hollande, en revanche, s'il a été premier secrétaire du PS, possède l'atout de se situer à une place politique plus proche de celle de Strauss-Kahn. Ses faiblesses sont aujourd'hui toutes corrigibles ou surmontables. Qu'importe que les strauss-kahniens ne le soutiennent pas encore, qu'un Manuel Valls se présente contre lui, François Hollande est potentiellement un candidat susceptible de rallier le centre parce qu'il est aujourd'hui vierge de ce qui pourrait l'en dissuader.
Son travail sera donc de convaincre l'électorat de la primaire qu'il peut emmener tout le monde derrière lui, la gauche et le centre.
Cela peut ne pas suffire si l'argument du positionnement est pondéré par le manque de charisme et d'idées enthousiasmantes. Ce qui me paraît sûr, c'est que son image "normale" peut être autant un handicap qu'un atout. Là où François Hollande a une longueur d'avance sur tous les autres (exceptée Segolène Royal mais je crois qu'elle ne parviendra pas à réduire son retard) c'est sur le fait qu'il veut y aller. C'est le seul aujourd'hui au PS. Il veut y aller, il y croit, et depuis longtemps. Tous les autres ne sont pas crédibles sur ce point. Il a encore le temps de trouver son discours. Aucun aujourd'hui ne l'a trouvé, il n'a donc aucun retard sur personne dans ce domaine.
Tout ce jouera donc sur la force et le positionnement du discours de Hollande.
Je crois que si la gauche veut gagner l'élection présidentielle, elle doit espérer que Hollande corrige ses défauts, ce qui est faisable, et séduise le centre, ce qui est faisable aujourd'hui et ce qui n'est pas le cas d'Aubry.
La primaire du PS ira à celui qui peut gagner l'élection présidentielle. Hollande a trois mois pour transformer son potentiel de rassemblement au-delà de la gauche traditionnelle. Si les sondages lui sont favorables c'est parce que ce potentiel n'est pas entamé. A lui de trouver le discours qui le confirme, voire le renforce et aussi les deux trois idées fortes qui y ajouteraient l'enthousiasme (le thème de la jeunesse est trop bateau pour cela). Hollande doit affirmer son pragmatisme, sa capacité d'écoute et de synthèse, ses qualités de tolérance et d'apaisement, sa détermination mais il doit aussi être l'homme des innovations, d'une modernité positive et d'une lucidité inventive. S'il n'y parvient pas, il ne gagnera pas la primaire et la gauche perdra l'élection.
Tout se joue aujourd'hui.

23 mai 2011

Ethique (Un deuil violent - 4)

Sommes nous des juges ?
Nous aimerions l’être, à n’en pas douter. Nous aimerions connaître les faits, entendre les témoins et en finir une bonne fois pour toutes : déclarer DSK coupable ou au contraire l’acquitter, l’innocenter, le blanchir.
L’incertitude nous pèse. Nous ne pouvons nous révolter réellement, nous sommes là appendus à la moindre rumeur, le moindre bout d’information, pris dans les filets de la communication de l’accusation, frustrés de ne pouvoir entendre la défense, englués dans les débats que nous imposent les médias.
Nous ne pouvons savoir qu’en penser et nous errons alors d’une hypothèse à l’autre, chaque hypothèse ouvrant sur un monde différent. Le trouble est à la mesure de cette insaisissabilité du sens de l’événement. Nous ne savons pas dans quel monde nous vivons. Est-ce le monde où DSK est coupable ? Ou est-ce celui où il est innocent ? Et coupable de quoi exactement ? Innocent de quoi ?

En quoi cela nous regarde-t-il finalement ? Que DSK soit un terrible pervers, un fou, un homme qui a un instant perdu la raison, une victime de sa maladresse, d’un piège improvisé, d’une machination, qu’avons-nous à y voir ?
C’est que nous sommes impliqués dans cette affaire et donc dans les mondes qui en dépendent.
DSK était probablement celui pour qui nous allions voter ou que nous allions combattre. Il était celui qui nous mobilisait et dont tout le monde, partisans ou adversaires, pouvait espérer, craindre ou simplement imaginer qu’il devienne le prochain président de la république française.
DSK n’est pas un homme politique comme les autres. DSK c’est nous qui l’avons fait.

Car ce n’est évidemment pas la pauvre créature humaine DSK qui est en cause. Celle-là, nous la savons aussi misérable que chacun de nous ou même de la femme de chambre, capable du meilleur comme du pire, névrosée, angoissée, et mortelle. Une créature humaine avec laquelle la justice humaine devra se débrouiller, américaine ou non, pour savoir quoi faire de ce que les hommes se font.
Le DSK qui nous intéresse - pour nous avoir convoqué dans son destin - c’est celui que nous avons fait et que nous sommes.
SI cette affaire nous arraisonne tant c’est parce que c’est nous qui étions dans la chambre d’hôtel et nous aimerions bien savoir ce que nous y avons fait. Nous aimerions bien savoir quelle est finalement notre propre responsabilité. Responsabilité d’électeur, de citoyen donc mais d’homme (au sens de mâle) aussi, et même de femme.

Car le mâle humain était aussi dans cette chambre d’hôtel à travers DSK et il attend fébrile de savoir ce que le pouvoir lui fait, s’il doit une nouvelle fois se couvrir de la honte d’être un barbare. Il veut savoir si réellement une pauvre pulsion prend les rênes de l’âme contre l’éducation, l’instruction, la morale, l’ambition, un prestigieux destin. Oui, le mâle humain voudrait savoir ce qu’il est et à quoi il doit s’en tenir ici.
Les femmes étaient dans la chambre également. Les femmes qui ont côtoyé DSK, qui l’ont séduit, qu’il a séduites, celles qui ont fantasmé sur lui (comme les hommes d’ailleurs), celles qui se révoltent contre le harcèlement, comme celles qui s’y résignent. Elles veulent savoir également car c’est d’elles dont on parle aussi. DSK c’est elles aussi car elles l’ont fait aussi.
Les citoyens et électeurs étaient dans la chambre avec les autres et ils veulent savoir à quel point ils sont humiliés d’avoir participé soit à l’ignominie soit aujourd’hui à la curée. Car si DSK est innocent, tous ceux qui étaient dans la chambre avec lui vont devoir affronter une nouvelle culpabilité. Celle de n’avoir pas attendu avant de penser.

Oui nous aimerions juger et en finir.
Mais c’est notre destin, finalement, de ne jamais savoir et de devoir décider dans le noir de ce que nous sommes.
Notre réaction aujourd’hui, ce que nous disons, notre précipitation ou notre attente, notre prudence ou nos affirmations, nous en serons comptables un jour.
Ce qui se joue maintenant, avant le jugement, avant de savoir dans quel monde nous vivons et qui nous sommes, c’est notre éthique.

20 mai 2011

Un deuil violent (3)

J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer François Hollande. C'était dans son bureau de Solferino alors qu'il était premier secrétaire du PS. Je livrais la pub que j'avais réalisée pour la campagne électorale du PS aux élections européennes de 2004. Etaient présents Pierre Moscovici (grippé, austère) et Bartolone (Jovial, roublard).

Tout le monde était satisfait du film. C'était une des toutes premières fois qu'un parti politique s'apprêtait à diffuser un véritable film publicitaire conçu d'ailleurs par une agence de pub.
J'avais alors lancé une petite provocation quand nous devisions après le visionnage, disant que j'aurais tout aussi bien accepté de travailler pour le RPR si on me l'avait demandé. Moscovici l’avait plutôt mal pris (d’austère il est devenu raide mais encore une fois il était vraiment très grippé – j’avais même la trouille d’attraper sa crève), et François Hollande s’en était amusé.

Il m’a ensuite raccompagné jusqu’à la grille du siège et nous avons discuté tout au long du chemin (couloir, escalier, cour). Quand il m’a serré la main sur le trottoir, une main chaleureuse, sympathique, simple, je me suis dit alors : « Cet homme ne fera jamais une grande carrière politique, il est trop gentil».
J’ai rencontré d’autres hommes politiques. Ils ne vous parlent pas normalement, ils parlent à travers vous. Ils ne vous regardent pas, ils se montrent avec vous. Si vous n’êtes pas un proche, vous n’êtes qu’une occasion de lancer un message ou au mieux de tester un discours.

François Hollande, lui, était juste normal. D’où ma réserve quant à son avenir. J’ai toujours pensé que pour réussir en politique il faut être un monstre. Tous les présidents de la république sont de véritables animaux politiques. Ils ne font pas partie du même univers que nous.
Se pourrait-il que cette simplicité et cette sympathie que j’ai vues en François Hollande deviennent aujourd’hui une vertu ?
C’est possible. Et l’affaire DSK viendrait en confirmer l’hypothèse. Car si aujourd’hui les médias s’essoufflent à parler d’eux-mêmes en s’interrogeant sur leur responsabilité, le débat devrait plutôt porter sur le pouvoir. Au delà du fait divers qui alimente les discussions scabreuses, il est certain que la réputation de DSK, quel que soit son degré de culpabilité (de 0 à 100), pose le problème de la corruption de la vie privée par l’arrogance du pouvoir politique. Et de ce point de vue, la poignée de main de François Hollande me fait penser que le manque d’arrogance peut de faiblesse devenir atout.

Un atout pour quoi ? FH peut-il récupérer les endeuillés de DSK ? Rien n’est moins sûr aujourd’hui. Parmi les électeurs potentiels de DSK il y avait les gens qui de toute façon allaient voter à gauche, la mort dans l’âme peut-être, mais avec la farouche volonté d’éviter un second mandat de Sarkozy. Mais il y avait aussi ceux qui voulaient voter DSK, c’est-à-dire contre Sarkozy et aussi contre la gauche, ou malgré la gauche. Ceux-là ne voteront pas Aubry.
François Hollande peut-il les décourager de se tourner vers un Bayrou ou un Borloo si ce dernier se présente ? La question est bien là. Car il pourrait aussi bien conserver la position qui était la sienne, c’est-à-dire une position médiane entre Aubry/Hamon et DSK, ce qui ne l’assure pas de séduire les réfractaires à une gauche obsolète voire réactionnaire, et aussi bien se rapprocher – moins l’arrogance – du positionnement politique réaliste de l’ex directeur du FMI.
Je pense que l'alternance se joue maintenant et sur ce terrain.

19 mai 2011

Un deuil violent (2)

La rumeur selon laquelle la défense de DSK s'apprêterait à plaider un rapport consenti est très énervante. Si elle était avérée (ce qui n'est pas du tout acquis) :
- Cela confirmerait ce que nous savions déjà, c'est que la thèse du piège n'est définitivement plus crédible (en tous les cas du piège global, genre : il ne s'est rien passé et tout a été inventé. Il reste encore la thèse du piège partiel) si tant est qu'elle l'ai été plus de cinq minutes un jour (quoique... on peut en reparler)
- Cela signifierait que DSK renonce définitivement à un retour dans la vie politique confirmant ainsi notre deuil déjà bien entamé. En effet si rapport consenti il y a eu, la situation n'en reste pas moins grotesque pour le Directeur du FMI.
- Le soupçon qu'il y a bien eu tentative de viol, voire brutalités, n'en serait pas plus levé et je dirais au contraire tant cette "parade" est souvent invoquée par les violeurs. Donc non seulement nous serions dans le grotesque mais nous resterions dans l'effroi.

Bref si cette rumeur était avérée, nous serions juste témoin de la tentative par DSK d'échapper aux poursuites ou de les minorer, ce qui interdirait toute possibilité d'être blanchi et donc perpétuerait l'humiliation d'avoir cru en lui. Il troquerait ainsi son honneur pour un confort de vie. Pourquoi pas, s'il ne lui reste plus que ça ?
Et tant pis pour nous.
Nous resterions dans la cadre de "la pulsion terrasse l'ambition", pensifs au sujet de cette pulsion toute puissante, dégoûtés par le semblant de laisser-passer que lui octroierait la position de pouvoir, et admiratifs devant la force du réel qui vient toujours vous asséner des coups de massue aux moments les plus inattendus ( définition du réel).

18 mai 2011

Un deuil violent (1)

DSK au FMI c'est quoi ? C'est un réalisme et une intelligence mise au service d'une tendance de gauche dans le contexte de la mondialisation. Et c'est ça que certains attendaient pour la France. Ni une gauche velléitaire et obsolète, ni une droite méprisante et abusive, mais une certaine volonté de réduire les inégalités sociales, de se soucier des plus humbles, intégrant la prise en compte lucide de la globalisation et des réalités économiques mondiales.
DSK dans la chambre d’hôtel c’est quoi exactement ? Aujourd’hui, avant le procès, les débats contradictoires, donc simplement avant la connaissance des faits, c’est la trahison brutale ou l’abandon sauvage des gens qui avaient investi dans cette perspective politique pour la France.
C’est un avion rempli de millions d’électeurs potentiels qui vient de s’écraser.
Il est là le choc ! A moins de condamner l’homme avant la justice, et de connaître les faits avant la police.
Qu’une pulsion misérable se révèle capable de terrasser une immense ambition, qu’un odieux (et illusoire) sentiment d’impunité vienne mettre un terme définitif à la promesse d’un destin grandiose, ou qu’une naïveté criminelle baisse la garde devant une adversité soit insidieuse soit impitoyable mais quoiqu’il arrive brillante et redoutable (thèse du piège latent ou patent), le résultat est aujourd’hui le même et le seul susceptible de commentaire : Ce n’est pas le PS qui est humilié, ce n’est pas la France, ce n’est pas la victime supposée (car supposée), ce sont tous ceux qui voyaient en DSK une perspective. Ce sont eux qui sont humiliés.
Que l’on saisisse ici l’occasion de parler de la condition des femmes, de la brutalité des hommes, du drame vécu par les victimes de viols ou d’agressions sexuelle est tout à fait légitime, mais c’est dès aujourd’hui condamner un présumé innocent, trancher avant la justice, juger à l’aveugle sur la foi des rumeurs et sous la pression de l’extraordinaire machine à fantasme qu’est Internet.
Aujourd’hui, ce qui est tangible, et ce au sujet de quoi la colère peut monter, c’est bien qu’avec le suicide politique de DSK, ou le meurtre politique de DSK, les premières victimes réelles et identifiables sont ceux qui s’apprêtaient à voter pour lui.
(suite à venir)