02 décembre 2011

Les bâtisseurs



Changer la société, c’était le crédo de la gauche française il y a 30 ans. Changer de société en France. Après Maastricht, le changement de société n’était plus possible si ce n’est en passant par l’Europe. Le combat ne pouvait plus se faire à l’échelle d’un pays. On ne pouvait plus changer tout seul. La mondialisation a détruit les dernières illusions. Ce n’est plus l’Europe qu’il faudrait convaincre mais les Etats-Unis, la Chine et tous les pays émergents. L’espoir de changement est devenu une vraie utopie.

La crise européenne actuelle parachève le mouvement. Non seulement il ne s’agit pas de changer mais il s’agit au contraire d’aller plus avant dans ce qui était combattu : la domination de l’économie sur la politique, la soumission aux marchés, l’abandon de souveraineté qui interdit toute remise en cause des structures sociales et économiques.

En 1989 le monde choisissait définitivement l’économie de marché, aujourd’hui il doit en assumer toutes les conséquences, sous peine de chaos.

Oui aujourd’hui c’est le chaos et son cortège de souffrances qui nous attend si nous n’adoptons pas les dispositifs inscrits en gésine dans le traité de Maastricht. Bref, l’espoir de changer de société est bien mort. Ceux qui voudraient le dénier nous entraineraient avec leurs illusions ou leurs mensonges dans la tourmente.

La primaire socialiste a d’une certaine manière validé cette mort de la gauche d’il y a trente ans. Et si François Hollande l’a emporté sur Martine Aubry c’est bien que le déni n’est plus tout à fait de mise.

En fait depuis quelques années, la gauche était devenue une gauche de résistance. Freiner l’inéluctable, s’opposer à tout ce mouvement, revenir sur ce qui avait été fait. La gauche avait pris acte de son incapacité à inventer une alternative. Elle pouvait au moins ralentir le processus. C’est pourquoi elle apparaissait comme réactionnaire.

La gauche de résistance est morte également, avec la crise de la dette. On lui dit maintenant qu’on ne peut plus freiner, hésiter, revenir en arrière. La gauche ne voulait pas prendre ce bateau. Elle voulait le faire revenir au port. Maintenant, en pleine mer, le bateau prend l’eau. On a le choix entre le colmater puis le renforcer ou rentrer à la nage.

Dans cette situation, faut-il persévérer dans le déni, coûte que coûte, ou céder à la désespérance ? Faut-il paniquer, ou au contraire saisir l’occasion qui nous est donnée de bâtir à travers l’Europe quelque chose de nouveau ?

Lors des moments de crise comme celle que l’on connaît, le combat idéologique n’a pas vraiment de sens. On a d’un côté les partisans du chaos, ceux qui pensent pouvoir profiter de l’effondrement pour construire leur cathédrale improbable, et de l’autre côté ceux qui, loin des idéologies, proposent des solutions pour éviter le naufrage.
Pourtant ce sont bien les crises qui induisent les changements de structure. Et ce sont les hommes – et non les idéologies -  qui peuvent guider les peuples dans ces changements angoissant où les repères s’effondrent.
Hors des crises les idéologues prennent la parole et parfois le pouvoir. Ils inventent des trucs comme les trente-cinq heures ou le bouclier fiscal. Des trucs qui correspondent à leur vision fantasmée de la réalité.

Sarkozy a été un idéologue, ce qui l’a empêché d’être un visionnaire. C’est son idéologie qui a creusé la dette au moment où déjà certains anticipaient la catastrophe actuelle. Il reste manifestement un idéologue. Aucune de ses interventions n’échappe à la mesquinerie du combat politicien. Son discours de Toulon 2 en atteste. Là où on attendait un homme d’Etat responsable, on a eu un candidat englué dans l’agressivité.

François Hollande est-il un idéologue, un politicien ? Les derniers soubresauts de sa campagne semblent dire le contraire. Il a su se dégager de l’emprise idéologique des écologistes et peu à peu il se dégage courageusement de celle de ses amis socialistes. Son principe de « donner du sens à la rigueur » est ce qu’il y a eu de plus sensé et de plus juste à dire sur le sujet. Mais ce n’est pas suffisant.

La situation exige aujourd’hui l’émergence de bâtisseurs. Ceux qui sont capable de nous guider, de nous offrir la perspective d’une nouvelle édification européenne qui prendrait acte de ses faiblesses et oserait surmonter la perte des repères. Nous ne pouvons plus changer la société mais aujourd’hui nous allons devoir changer de monde. Seuls des bâtisseurs peuvent nous en convaincre et nous accompagner. Nicolas Sarkozy n’est pas un tel bâtisseur. Si le couple franco-allemand est tant à la peine. Si le dialogue entre Sarkozy et Merkel est si laborieux, si difficile. Si nous courons toujours derrière la crise, à bout de souffle, c’est parce qu’ils ne sont pas à la hauteur. Ce sont les dirigeants d’un monde stable et non ceux d’un monde qui bascule.

François Hollande, s’il n’est pas un idéologue, pourrait-il être un bâtisseur? C’est l’enjeu tout récent mais majeur de la prochaine élection présidentielle.

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