01 juillet 2011

Un deuil violent (5)


Les accusations contre DSK vont-elle s’effondrer ?
Non, ce n’est pas une sidération de plus. Cette possibilité était inscrite dans l’évènement lui-même.
Cet évènement prend un nouveau sens aujourd’hui. Et nous commençons à apercevoir quel monde se jouait dans cette chambre d’hôtel.
L’immédiateté de l’information et la négation de la pensée
Nous avons appris que nous pouvions être informé seconde par seconde grâce à Twitter. Les faits bruts : un homme devant le tribunal, la rumeur puis le discours de l’accusation, le seul discours audible alors. Nous étions façonnés par ces informations. Sommés de penser au rythme d’Internet, nous nous sommes essoufflés et nous avons commenté, au fil des minutes, une réalité fantasmée, manipulée, faite des désirs et des craintes de chacun.
La vertu d’Internet a une face cachée : la négation de la pensée. On ne pense pas un événement dont on suit le déroulement à la seconde. Les journalistes sont les penseurs d’aujourd’hui, ce qui est un drame.
La machine à blabla…
Elle s’est mise en route immédiatement. Pour calmer nos angoisses nous avons eu besoin de commenter, de débattre, de tout et de n’importe quoi : le viol, l’arrogance des puissants, le machisme des politiques.
J’ai dénoncé dans l’émission « Ce soir ou jamais » le caractère à charge de ces débats. Débattre du viol à l’occasion d’une affaire dont on ne savait rien était déjà condamner DSK. Le procès a été continuel.
Les médias ont surtout parlé d’eux-mêmes. Exercice d’égocentrisme exacerbé : le débat a essentiellement porté sur leur responsabilité. Et nous avons assisté médusés et impuissants à cette obscénité intellectuelle.
La jouissance d’abattre les puissants
Elle est universelle. La démocratisation de la parole libérée par Internet, la rapidité des échanges d’informations rend les puissants vulnérables dans la bataille de l’image. L’occasion ne saurait être manquée, fut-elle colorée de fantasme. Ce qui en dit long sur la frustration liée à la démocratie. Nous haïssons nos dirigeants, nous les haïssons de nous diriger alors même qu’ils nous doivent leur place. Nous ne voulons rien savoir de la difficulté de décider dans un monde complexe. Non. Nous voulons que ce soit simple et nous condamnons par avance l’esprit de responsabilité qui nous frustre de nos désirs et de nos illusions. Nous faisons payer cet esprit de responsabilité au prix fort : celui de pouvoir être détruit en une seconde dès que l’occasion de présente.
Le drame de l’absence d’éthique
L’éthique, tel était le véritable enjeu de toute cette affaire. Nous ne savions rien, nous n’entendions que l’accusation mais nous avions besoin de parler tant l’événement était traumatique. La suspension du jugement était alors une question d’éthique. Savoir de quoi on parle, faire attention aux mots : ce que les médias ne peuvent savoir faire. Cette affaire a été pour nous un vrai drame éthique.
L’avenir nous dira comment on se remet d’un tel événement. Nous, ceux qui avons été sidérés le jour de l’arrestation, qui avons été volés d’une perspective politique.
Les leçons a tirer sont multiples, complexes et essentielles. C’est un évènement majeur dans la conscience collective française. Et les conséquences en sont aujourd’hui incalculables. Mais ce qui est certain c’est que des comptes seront à rendre. Des comptes de la pensée. On n’est pas contemporain d’un tel événement sans rendre de comptes. C’est un nouvel enjeu éthique.