17 décembre 2011

Chronique de la crise (4) - Le tripolet


Le tripolet (prononciation anglaise de triple A, soit de la meilleure note AAA donnée par les agences de notation). 

Il est cocasse aujourd'hui de voir le gouvernement se préparer à la dégradation de la note de l'Etat français en en minimisant l'impact (Juppé estime que ça ne serait pas un cataclysme)  alors qu'il n'y a pas si longtemps, les ténors de la majorité accusaient Hollande ou Attali de tenir des propos irresponsables quand ces derniers suggéraient une anticipation de cette dégradation par les marchés.

Extrait du figaro du 10 novembre :

"La ministre du Budget, Valérie Pécresse, a qualifié aujourd'hui d'"irresponsables" les propos tenus par l'ex-président de la BERD Jacques Attali, qui a estimé que la France avait déjà perdu de facto sa note "AAA".

"Des propos de ce type sont irresponsables car ils sont faux : aujourd'hui nous faisons tout pour garder ce "AAA". Dire le "AAA" est déjà perdu, se réjouir déjà du pire, c'est irresponsable", a-t-elle clamé. La ministre a ajouté que c'était aussi "démobilisateur pour des Français à qui nous demandons de faire davantage d'efforts". "

Pour Valérie Pécresse, la perte du tripolet était alors le pire.

Depuis le dernier sommet de la dernière chance, on parle de la prochaine dégradation de la note de la France. De même que l'on parle beaucoup de la dégradation des relations entre la France et l'Angleterre. A la germanophobie s'est substituée l'anglophobie. Les deux sujets sont liés puisque c'est bien cette menace sur le tripolet français qui pousse certains membres du gouvernement à affirmer qu'il serait plus juste de dégrader la note de l'Angleterre plutôt que celle de la France. Sympa pour l'économie anglaise.

On a l'impression que le gouvernement perd un peu son sang froid après - ne disons pas l'échec - le peu de succès du dernier sommet de la dernière chance. 

La politisation de la crise par Sarkozy continue de creuser sa propre dette. Comme le lui reproche François Hollande dans le Monde : 

"...  le président-candidat se garde bien de consulter l'opposition. Il en appelle à l'union nationale, ce qui est cocasse venant de celui qui n'a cessé d'entretenir des divisions, et se prive, sur des questions essentielles, de l'avis de ceux qui pourraient être demain en charge du pays."

Si cette crise est bien la plus grave qu'ait connu la zone euro depuis sa création et menace l'Europe de dislocation, on ne comprend pas bien pourquoi le président Sarkozy n'ait pas effectivement convoqué autour de lui les forces politiques responsables afin de faire parler la France d'une seule voix, de trouver des solutions acceptées par tous, assumées par tous face à un danger terrible.

Si Sarkozy a finalement choisi d'utiliser la crise pour relancer une popularité perdue et espérer gagner l'élection présidentielle, choisissant la confrontation politique plutôt que l'unité nationale, profitant de la situation pour imposer une vision de la société que beaucoup rejettent en la présentant comme n'ayant aucune alternative possible, c'est bien que le président ne croit pas à la gravité de la situation, ou alors, s'il y croit, il manque de la grandeur nécessaire pour y faire face.

Dans les deux cas, il est en faute. Quant à Hollande, que peut-il bien faire ? Il n'est pas aux affaires. Il ne peut être que dans le commentaire. Il sait bien qu'il n'aura que très peu de marges de manœuvre s'il est élu. Il n'est pas stupide et quand il dit qu'il renégociera le traité (je me demande s'il croit vraiment qu'il y aura un traité. Pas sûr) c'est en précisant que ce serait pour y ajouter un volet relatif à la croissance. Ce dont nul ne conteste la nécessité.

On peut donc retenir cette semaine le scepticisme des marchés vis à vis des décisions prises lors du dernier sommet européen. Un traité ? Oui, très bien. Lequel ? Quand ? Signé par qui ? Autant d'interrogations qui ne rassurent pas face à l'urgence de la situation.
On peut également retenir l'erreur historique de Sarkozy consistant à se servir de la crise pour taper sur les socialistes. Il a perdu l'occasion de montrer qu'il pouvais être un grand président, au-dessus des polémiques politiciennes, capable de prendre la mesure de circonstances qui demandent de la hauteur. Il aurait fallu galvaniser la France dans sa diversité d'opinions, donner une perspective face aux efforts demandés, réunir tout le monde. Mobiliser plutôt que diviser. Aurait-ce été impossible ? Peut-être aurait-il fallu qu'il ne se représente pas. Qu'il laisse un Fillon se présenter à sa place. Il n'aurait pas couru le risque d'être accusé d'instrumentalisation. Il aurait pu ainsi se placer au-dessus des différences et faire accepter un certain nombre de décisions. Mais pour cela il aurait aussi fallu assumer un bilan plutôt négatif. Ça n'aurait pas été déshonorant. Quand Sarkozy a été élu, il n'y avait pas cette crise. 

Qu'a pensé Georges Bush le 11 septembre 2001 ? S'est-il dit : "je n'ai pas de pot" ? ou bien : "Voilà l'occasion que j'attendais "?
Ce qui est certain, c'est qu'en 40, au moment de la chute de la France, De Gaulle ne s'est pas dit :"Je n'ai pas de pot". Il ne s'est probablement pas dit "Voici l'occasion que j'attendais". Mais ce qui est sûr, c'est que c'était bien l'occasion qu'il attendait. Il l'avait écrit dans une dissertation à l'âge de 12 ans je crois.
Que semble s'être dit Sarkozy ? 
"Voici l'occasion d'en finir une bonne fois pour toute avec la gauche..."
Ce n'est pas vraiment du tripolet politique.

11 décembre 2011

Chronique de la crise (3) La notation allemande

Le sommet de Bruxelles des 8 et 9 décembre, sommet présenté comme d'habitude comme celui de la dernière chance, s'est terminé sur deux événements : Le projet d'un nouveau traité européen et la sortie consécutive de l'Angleterre de ce qui sera peut-être cette nouvelle Europe.
Il est possible que rien de tout cela ne se passe et que la dégradation de la note des états AAA - si elle intervient -  entraîne de nouvelles conséquences, de nouvelles décisions, bref de nouveaux sommets de la dernière chance.
Le traité de Maastricht prévoyait déjà que tous les Etats signataires s'engagent à ne pas dépasser un déficit représentant 3% du PIB faute de quoi ils s'exposaient à des sanctions. C'était déjà un traité de la rigueur et c'est bien pour cela que nombre de partis de gauche (PC en premier) y voyaient un empêchement de faire une politique alternative. Pourquoi ? Parce qu'embaucher des fonctionnaires, rehausser le SMIC, mieux s'occuper des chômeurs, des hôpitaux etc... ça coûte cher. Il faut creuser le déficit. Si c'est interdit, c'est plus difficile.
D'ailleurs, la France comme l'Allemagne ont dérogé à cette règle inscrite dans le traité de Maastricht. Les deux Etats ont à un moment décidé de passer outre le limite des 3%. Les meilleurs élèves de l'Europe se sont mis hors la loi (du traité). On peut se demander si ça n'a pas eu un très mauvais effet d'entraînement. On peut se demander aussi du coup quelle valeur va avoir ce nouveau traité.

Quand un Etat souverain décide de creuser son déficit parce que fort de sa légitimité démocratique il estime devoir le faire " à la demande de son peuple" par exemple, sur tel ou tel sujet, on peut se demander ce qui peut l'en empêcher. Un traité européen ? Il peut demander une dérogation. Une règle d'or ? Une constitution se change. Alors oui, c'est plus difficile de transformer la constitution que d'abroger une loi mais ce n'est pas impossible. Ce que je veux demander ici c'est : quelle est la nécessité d'adopter un nouveau traité?

Il y en a une évidemment : rassurer les marchés.
C'est comme si on disait aux marchés qui doutent de l'Europe, qui pensent que l'Europe est de moins en moins fiable et qui du coup ont de plus en plus de mal à lui prêter de l'argent, c'est comme si on leur disait:

"Oui, on sait, on a beaucoup dépensé, on s'est beaucoup endettés, malgré nos promesses de ne pas le faire. Oui, on sait, depuis quelques mois, on dit beaucoup de chose mais vous ne nous croyez pas. Et on vous comprend. Alors là, on va faire un truc fort, on va faire un nouveau traité contraignant qui nous interdit, mais alors là vraiment, pas comme à Maastricht, de dépenser et de s'endetter trop. On va le faire, promis, tout le monde promet (sauf les anglais), là vous ne pourrez pas dire qu'on ne fait pas d'effort pour redevenir fiable. Alors ? On est fiable ? Vous êtes rassurés ?"

Mais ce n'est pas le projet de traité qui est important.
C'est le rôle de la BCE.
En Europe on a une banque centrale, comme dans les autres grands pays, mais elle ne peut pas faire la même chose que les autres. Elle ne peut pas intervenir si il y a des problèmes. Incroyable!
C'est normal puisqu'en fait on n'est pas UN pays, on n'a pas une seule politique.
Mais c'est sûr que si la banque centrale européenne pouvait intervenir comme une banque centrale normale, les marchés, on pourrait les rassurer plus facilement.
Et tout l'enjeu est là.
L'Allemagne ne veut pas que la BCE intervienne si les états européens ne veulent pas se réformer, devenir plus sérieux, bref n'adoptent pas la règle d'or.
C'est compréhensible. On ne prête pas de l'argent à quelqu'un qui le dépense chaque soir au casino.

L'Allemagne dit à l'Europe : vous ne faites pas ce qu'il faut pour que la BCE puisse changer de statut et intervenir, ce qui serait la seule chance de rassurer les marchés et de sortir de la crise.
Alors on fait des trucs, on change des trucs et on se tourne vers l'Allemagne et on lui demande : Et là ? Ça va ? Maintenant la BCE peut se réformer ?
Bref l'Allemagne est en position d'agence de notation de l'Europe. Si elle est contente du prochain traité (quelle a poussé), alors la voie s'ouvrira pour une réforme de la BCE, ce qui ouvrira la voie pour un apaisement des marchés. Tout ça n'a pas besoin d'être concrétisé. Il suffit que tous soient convaincus que ça va se faire.

On peut se demander si justement ce n'est pas parce que l'Allemagne est en position d'agence de notation de l'Europe que l'Angleterre n'est pas vraiment dans l'Europe.
Alors on nous dit : La bonne gestion ce n'est pas allemand, ce n'est pas de droite, c'est juste de la bonne gestion. Et on ajoute :  dire que c'est l'Allemagne qui décide c'est faire de la germanophobie.
Ce n'est pas faire de la germanophobie que de décrire la réalité. Il ne s'agit pas ici de dire que c'est mal ou bien. Il s'agit de dire comment ça se passe.

Alors évidemment, aujourd'hui, la crise écrase le débat de la campagne électorale en France. L'UMP fait comme si il n'y avait pas de débat possible. Il y a ceux qui veulent bien gérer et ceux qui veulent mal gérer. Les premiers sauvent la France, les seconds la mettent en danger.
Ce débat est un leurre. Et d'ailleurs la question de la règle d'or en est une conséquence et la politisation de cette question par Sarkozy a interdit tout espoir de la voter avant les élections.
Il faudra quand même que François Hollande parvienne à imposer la bonne question, la question essentielle, celle qui n'est pas un leurre, la question politique, discriminante pour le choix du président : La bonne gestion, oui, mais pour quoi faire ?
Si la gauche ne parvient pas à recentrer le débat sur ce sujet, elle perdra l'élection.

PS : article éclairant sur le leadership de l'Allemagne en EUrope
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/11/l-allemagne-vraie-reussite-et-faux-modele_1616160_3234.html

06 décembre 2011

Chronique de la crise (2)

Deux événements depuis le dernier post : la rencontre Sarkozy-Merkel et la "mise sous surveillance négative" de la note des pays AAA de la zone euro, dont l'Allemagne et la France.

La rencontre d'abord. Elle accouche essentiellement d'un projet de traité. Un traité qui devrait obliger les pays de la zone euro à adopter une règle d'or. La règle d'or, en gros, consiste à rendre anticonstitutionnel un certain niveau de déficit public. Si tout se passe bien - ce qui est loin d'être certain - tout ceci ne devrait pas être mis en oeuvre avant plusieurs mois. Mais enfin, on peut imaginer que si tous les pays européens qui vont se réunir d'ici deux jours acceptent ce projet de traité, le message sera lancé aux marchés pour restaurer une certaine confiance.
Il y a une crise réelle et grave. Elle nécessite des réponses fortes et courageuses. Mais on ne peut s'empêcher de penser que cette crise est peut-être en train de sauver Sarkozy. Et le problème, c'est qu'il ne se cache pas d'en jouir. J'en veux pour preuve la politisation systématique de ses interventions, les attaques récurrentes contre l'opposition alors que la situation est très sérieuse. A l'écouter, les socialistes sont responsables de la crise en France. Ce qu'ils ont fait il y a dix ans et ce qu'ils disent aujourd'hui, voilà leur crime. Et en plus, ils ne veulent pas de la règle d'or. Ils seront responsables de l'échec si jamais le nouveau traité n'est pas adopté.
Ça me fait penser à ce qui se passe souvent dans la production cinématographique. Un producteur demande à son réalisateur de revoir son scénario ou ses prétentions de mise en scène parce qu'il ne parvient pas à trouver les financements exigés par le devis. Le réalisateur râle et accuse le producteur de baisser les bras, de ne pas être à la hauteur. Finalement il rompt avec lui et va chercher un autre producteur, refusant de revoir son ambition à la baisse. Le second producteur lui tient le même langage et là le réalisateur est obligé de s'incliner. Résultat le premier producteur a perdu le film qui se fait avec les ajustements budgétaires nécessaires.
C'est ce qui risque de se passer avec Nicolas Sarkozy. A force de ne rien dire de son bilan, d'avoir un discours si manipulateur, et à force finalement de politiser son action, d'instrumentaliser la crise à des fins électorales, le président sortant ne peut plus rien demander aux français. A force d'avoir été et de rester un idéologue il n'est plus en mesure d'obtenir la confiance nécessaire pour entraîner son pays sur la voie d'une douloureuse révision. Il est probable que si la règle d'or doit être votée un peu partout, la France la votera, mais pas sous Sarkozy et pas si c'est Sarkozy qui le demande.
C'est idiot, hein ? C'est la démocratie. Les dirigeants doivent garder la confiance des gens. C'est pourquoi il ne faut pas, même en des temps paisibles, trop exagérer, trop profiter du pouvoir. Parce qu'en temps de crise, on n'a plus trop de pouvoir.

L'action de Standard and Poor's.
Vous aviez déjà entendu parler des agences de notation il y a, disons, un an ? Que se passe-t-il ? Tout d'un coup, elles disent des trucs. Des trucs qui ont des conséquences terribles. Mais avant ? Elles ne disaient rien ou on ne les écoutaient pas ? (je veux dire, nous, les gens, qui ne travaillons pas dans la finance).
Les agences de notation sont là pour dire si celui à qui vous prêtez de l'argent est fiable. S'il a de bonnes chance de vous le rendre. Et donc elle notes les emprunteurs. AAA, c'est la meilleure note. Et donc, quand on est fiable, on emprunte moins cher. Parce que le risque se paie. Si vous prêtez à quelqu'un qui ne fait que jouer au casino, vous avez des chances de ne jamais revoir votre argent. Alors vous demandez cher pour prêter. Vous faites rémunérer votre risque. Donc, si la France par exemple perd son AAA, la meilleure note, elle empruntera plus cher. Et son déficits public se creusera encore plus. Et elle pourra encore moins investir dans des projets d'avenir. Bref,  ça serait un coup dur, même si on estime aujourd'hui qu'elle emprunte à des taux qui de toute façon ne sont plus vraiment AAA. Qu'importe.
Les agences de notation, on les entend parler. Elles ont toujours parlé. Elles ont toujours noté les Etats. Mais maintenant on fait attention. Je me demande quand même si elles ne commencent pas à ne plus se sentir maintenant qu'on les écoute. Elle disent à quelle condition elle pourraient donner une meilleure note.
La donne a changé. La situation a changé. Et donc je crois que le poids d'une agence de notation n'est plus le même. Sa fonction a changé. C'était une expertise. C'est devenu une prophétie, une pression.
C'est la preuve de la perte de souveraineté des Etats due à la mondialisation. La politique ne se décide plus vraiment à l'intérieur. Voir une agence de notation noter les projets de réforme devient réellement embarrassant. On dit : on ne tape pas sur le messager. Mais là, le messager en fait trop. La médiatisation des décisions des agences de notation a un effet. Un peu comme les acteurs qui deviennent célèbres. Souvent ils y croient. Ils sont dupes de leur célébrité. Et ils commencent à faire des choix pour de mauvaises raison.



04 décembre 2011

Chronique de la crise (1)


La semaine a été marquée par le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon. On nous promettait un grand discours qui nous expliquerait les raisons de la crise et les efforts à faire pour s’en sortir.
Un discours comme ça, ce n’est pas monnaie courante. Ça marque. C’est pour les grandes occasions.
Le discours du président a surtout été un discours de candidat en campagne, agressif envers son principal adversaire politique. Quant à la crise européenne, et le déficit public de la France, le candidat a voulu surtout n’en porter aucune responsabilité, rejetant la faute soit sur 30 ans de gestion tout gouvernement confondu, soit sur la gauche, ses trente-cinq heures et la retraite à soixante ans.
Nicolas Sarkozy a donc raté une occasion d’être un grand président, un grand chef d’Etat. Il est ce qu’il est : une bête politique.

Tout le monde sait que les dirigeants français et allemands ne sont pas d’accord. L’Allemagne, qui a déjà fait les efforts, ne veut pas payer pour les autres tant qu’elle n’a pas les garanties que les aides seront bien employées.
Ça me fait penser à Churchill en 40, à qui les français demandaient d’envoyer toujours plus d’avions pour défendre une France en déroute. Churchill ne voulait pas laisser tomber la France, alors il envoyait les avions mais il les perdait dans la catastrophe. C’était comme les jeter par les fenêtre. Alors à un moment il a dit stop. Il fallait bien qu’il en garde pour défendre l’Angleterre au cas où la France perdrait la guerre. Ce qui s’est passé. On lui en a voulu à mort. C’était juste du bon sens.
L’Allemagne, aujourd’hui, ne veut pas gaspiller ses forces en vain. Aider des pays qui n’offrent aucune garantie de désendettement ni de bonne gestion, c’est comme jeter l’argent par les fenêtres. Et gâcher tous les efforts que l’Allemagne a déjà faits.

On comprend bien que l’Europe ne peut s’en sortir qu’à mettre en place une plus grande intégration. C’est à dire en gros un gouvernement économique européen, et les mêmes règles budgétaires, fiscales, voire sociales pour tout le monde. Bref, soit l’Europe s’écroule, soit elle prend le pas sur les nations. C’est le fédéralisme.
Mais pour l’instant, Sarkozy et Merkel ne s’entendent pas là-dessus. Ils ne s’entendent pas alors qu’on doit changer de monde. Ils ne sont peut-être pas faits pour ce tournant historique.

Delors vient de faire une nouvelle sortie. Après celle d’il y a quelques semaines qui était alarmiste, maintenant il dit que l’euro était voué à l’échec. Je me demande s’il n’est pas devenu gâteux. En tous les cas, manifestement, il n’en a plus rien à foutre et parle comme si sa parole n’avait plus aucun impact. Ce qui est vrai.

Où est Hollande ? Après le discours de Sarkozy, tout le monde parle sauf lui. Il ne veut pas tomber dans le piège du discours de Toulon, à savoir se positionner par rapport à ce que dit son adversaire. Surtout qu’il ne s’est rien dit de très nouveau. Pourtant la crise a chamboulé les plans de campagne et les thèmes de campagne doivent être révisés. Je me demande si Hollande est très à l’aise en ce moment.
Le problème, on le connaît. Il n’y a pas de choix. Hollande et Sarkozy feront la même chose. Ils n’ont pas le choix. La différence se fera à la marge et sur la personnalité. Pour la politique, les solutions seront les mêmes. Tout le monde le sait.
Parmi les commentateurs de la crise en ce moment, palme à Dominique Reynié et Nicolas Beytout, invités récurrents de l’excellente émission de Yves Calvi, « C dans l’air ».

02 décembre 2011

Les bâtisseurs



Changer la société, c’était le crédo de la gauche française il y a 30 ans. Changer de société en France. Après Maastricht, le changement de société n’était plus possible si ce n’est en passant par l’Europe. Le combat ne pouvait plus se faire à l’échelle d’un pays. On ne pouvait plus changer tout seul. La mondialisation a détruit les dernières illusions. Ce n’est plus l’Europe qu’il faudrait convaincre mais les Etats-Unis, la Chine et tous les pays émergents. L’espoir de changement est devenu une vraie utopie.

La crise européenne actuelle parachève le mouvement. Non seulement il ne s’agit pas de changer mais il s’agit au contraire d’aller plus avant dans ce qui était combattu : la domination de l’économie sur la politique, la soumission aux marchés, l’abandon de souveraineté qui interdit toute remise en cause des structures sociales et économiques.

En 1989 le monde choisissait définitivement l’économie de marché, aujourd’hui il doit en assumer toutes les conséquences, sous peine de chaos.

Oui aujourd’hui c’est le chaos et son cortège de souffrances qui nous attend si nous n’adoptons pas les dispositifs inscrits en gésine dans le traité de Maastricht. Bref, l’espoir de changer de société est bien mort. Ceux qui voudraient le dénier nous entraineraient avec leurs illusions ou leurs mensonges dans la tourmente.

La primaire socialiste a d’une certaine manière validé cette mort de la gauche d’il y a trente ans. Et si François Hollande l’a emporté sur Martine Aubry c’est bien que le déni n’est plus tout à fait de mise.

En fait depuis quelques années, la gauche était devenue une gauche de résistance. Freiner l’inéluctable, s’opposer à tout ce mouvement, revenir sur ce qui avait été fait. La gauche avait pris acte de son incapacité à inventer une alternative. Elle pouvait au moins ralentir le processus. C’est pourquoi elle apparaissait comme réactionnaire.

La gauche de résistance est morte également, avec la crise de la dette. On lui dit maintenant qu’on ne peut plus freiner, hésiter, revenir en arrière. La gauche ne voulait pas prendre ce bateau. Elle voulait le faire revenir au port. Maintenant, en pleine mer, le bateau prend l’eau. On a le choix entre le colmater puis le renforcer ou rentrer à la nage.

Dans cette situation, faut-il persévérer dans le déni, coûte que coûte, ou céder à la désespérance ? Faut-il paniquer, ou au contraire saisir l’occasion qui nous est donnée de bâtir à travers l’Europe quelque chose de nouveau ?

Lors des moments de crise comme celle que l’on connaît, le combat idéologique n’a pas vraiment de sens. On a d’un côté les partisans du chaos, ceux qui pensent pouvoir profiter de l’effondrement pour construire leur cathédrale improbable, et de l’autre côté ceux qui, loin des idéologies, proposent des solutions pour éviter le naufrage.
Pourtant ce sont bien les crises qui induisent les changements de structure. Et ce sont les hommes – et non les idéologies -  qui peuvent guider les peuples dans ces changements angoissant où les repères s’effondrent.
Hors des crises les idéologues prennent la parole et parfois le pouvoir. Ils inventent des trucs comme les trente-cinq heures ou le bouclier fiscal. Des trucs qui correspondent à leur vision fantasmée de la réalité.

Sarkozy a été un idéologue, ce qui l’a empêché d’être un visionnaire. C’est son idéologie qui a creusé la dette au moment où déjà certains anticipaient la catastrophe actuelle. Il reste manifestement un idéologue. Aucune de ses interventions n’échappe à la mesquinerie du combat politicien. Son discours de Toulon 2 en atteste. Là où on attendait un homme d’Etat responsable, on a eu un candidat englué dans l’agressivité.

François Hollande est-il un idéologue, un politicien ? Les derniers soubresauts de sa campagne semblent dire le contraire. Il a su se dégager de l’emprise idéologique des écologistes et peu à peu il se dégage courageusement de celle de ses amis socialistes. Son principe de « donner du sens à la rigueur » est ce qu’il y a eu de plus sensé et de plus juste à dire sur le sujet. Mais ce n’est pas suffisant.

La situation exige aujourd’hui l’émergence de bâtisseurs. Ceux qui sont capable de nous guider, de nous offrir la perspective d’une nouvelle édification européenne qui prendrait acte de ses faiblesses et oserait surmonter la perte des repères. Nous ne pouvons plus changer la société mais aujourd’hui nous allons devoir changer de monde. Seuls des bâtisseurs peuvent nous en convaincre et nous accompagner. Nicolas Sarkozy n’est pas un tel bâtisseur. Si le couple franco-allemand est tant à la peine. Si le dialogue entre Sarkozy et Merkel est si laborieux, si difficile. Si nous courons toujours derrière la crise, à bout de souffle, c’est parce qu’ils ne sont pas à la hauteur. Ce sont les dirigeants d’un monde stable et non ceux d’un monde qui bascule.

François Hollande, s’il n’est pas un idéologue, pourrait-il être un bâtisseur? C’est l’enjeu tout récent mais majeur de la prochaine élection présidentielle.