29 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 15


Je me trouve dans une sorte de salon attenant au grand auditorium de  mixage. A travers une sorte de hublot j’aperçois l’écran. Je peux voir où on en est. Je préfère ne pas assister à toutes les étapes du mixage d’une séquence afin de garder l’oreille fraîche quand il s’agit de l’écouter et vérifier si tout est bien en place. On vient me chercher quand la séquence est prête ou pour me poser une question.
Je m’installe alors près du mixeur. J’écoute la séquence. Et j’écoute mes impressions. J’essaie d’évaluer ce que le son apporte à la signification et à l’émotion de la scène.
J’indique les modifications éventuelles à apporter. Mes remarques sont parfois très subjectives. Tel son que j’aimais n’est pas assez fort, tel autre prend trop de place. Cette subjectivité dans le travail du son, c’est ce qu’on pourrait appeler une histoire de style.
Parfois mes remarques sont plus motivées.
Il y a quelques jours nous mixions une séquence de tension qui se termine dans le massif de l’Esterel.
En haut, alors que l’on voit la plaine et la mer, quelque chose me dérange dans l’ambiance sonore. Je ne sais pas vraiment quoi mais je ne ressens pas l’impression que j’espérais à me retrouver sur le sommet. L’image le dit bien sûr mais pas le son.
Puis je comprends : il y a trop d’oiseaux. On entend trop d’oiseaux et du coup on a plutôt le sentiment d’être dans une forêt.
Je propose d’enlever quelques pistes de chants d’oiseaux (il y en a plusieurs). On fait des essais. On retire cette piste-ci puis celle-là. Et enfin on se retrouve vraiment à la montagne. Le vent, la rumeur au loin, des insectes et quelques oiseaux seulement. Le résultat est net. Le son appuie alors l’image, la renforce. Il n’est pas contradictoire. On est à l’air libre et le sentiment d’apaisement, de quiétude encore lourde de la tension que l’on vient de vivre est palpable.
Il s’agit d’une nuance. Il s’agit d’un millimètre sur un chemin de plusieurs kilomètres. Mais il compte, là, sur cette séquence.
Le mixage, c'est mille occasions comme celle-là.
Je me déplace ensuite pour aller à la salle d’étalonnage. Là on me montre un morceau du film qui vient d’être travaillé. Je suis de nouveau à l’écoute de mes sensations. Mais il s’agit alors de juger la couleur, la densité, le contraste de l’image. Ce visage n’est-il pas trop jaune, rouge ? Ici, la clarté dérange, là, la densité parasite. Et puis ne faut-il pas jouer ici une image froide pour mieux mettre en valeur la prochaine séquence qui sera plus chaude, plus sensuelle ? Il s’agit là encore de style et de signifiance.

Les enjeux de création sont ici minimes comparés à la situation de tournage ou de montage. L’angoisse s’est déplacée. Il faut rester concentré car on peut rater une occasion. Je suis comme un gardien de but lors d’un match de football où mon équipe n’est pas trop inquiétée. Je suis peu sollicité. Mais à la faveur d’une contre-attaque je peux prendre un but pour quelques secondes d’inattention.

L’angoisse de la fabrication du film s’éloigne. Les enjeux sont maintenant minimes. Mais une autre angoisse se lève lentement. C’est encore un tout petit point qui va grossir de plus en plus.
Tout ce travail, toute cette énergie, cette tentative insensée de maîtriser des forces disparates et continuellement en action, cette année de fabrication, ces cinq ans d’écriture, tout cela peut être effacé, jeté à la poubelle et condamné à l’oubli en quelques minutes. Le jour de la sortie du film à 14h.
Les premiers chiffres sont rarement démentis. Ils peuvent l’être et ça tient alors du miracle. Mais ce jour-là, quand les premiers chiffres de fréquentation tombent, le film peut avoir une vie ou mourir à l’instant. C’est alors la montagne de tension et de travail qui est balayée, rendue vaine en un claquement de doigt.
Cette angoisse, il est trop tôt pour la vivre. Mais l’angoisse de création s’éloignant, elle laisse la place sournoisement à cette autre angoisse de disparaître dans le néant.
Ce n’est pas le destin commercial qui est en jeu à ce moment là. Pas directement pour moi tout du moins. C’est juste la raison d’être de tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant. C’est juste l’existence objective du résultat.
Le film peut mourir dans les minutes où il naît au public.

J’en reparlerai bien sûr. En attendant il y a cette tension, cette concentration permanente que je vais devoir garder pour ce qui suit : fin du mixage, établissement des sous-titres, supervision du doublage pour la version française. Encore des occasions à ne pas rater.

Chaque jours qui passe, le réel s’approche et avec lui ce truc terrible qui vous métamorphose en feuille de papier que l’on chiffonne et qu’on jette dans la corbeille.
Mais ce n’est pas maintenant. Pas maintenant encore. N’y pensons pas. Restons concentré.
Je comprends ceux qui veulent faire exister leur film le plus longtemps possible avant la sortie. Tournée province, multiplication des avant-premières, festivals… Ah les festivals ! Ça retarde l’échafaud. On a le sentiment que le film peut vivre. Il vit.
Il n’en reste pas moins que viendra le jour où… Hop ! A la poubelle. Ce truc n’est rien, rien de rien. On passe à autre chose.

21 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 14


Je me suis fait projeter le film il y a deux jours. Moi seul dans une grande salle, écran géant. Je voulais vérifier à quoi il ressemblait avec les dernières coupes de montage. Juger l’histoire dans sa continuité et valider les deux déplacements de musique que j’avais décidé la veille.

J’ai vu le film différemment, pas exactement comme un spectateur mais pas exactement comme le réalisateur. J’ai pu voir comment l’améliorer encore au mixage. Et j’ai décidé d’ajouter quelques cartons de localisation parce qu’on m’avait dit que c’était nécessaire pour une meilleure compréhension de l’intrigue. Sur papier j’étais contre et je me suis rangé à l’avis général.

Maintenant le film est bouclé. Il ne changera plus. Le mixage continue. Chaque détail de son est travaillé, évalué, réinventé. L’étalonnage se poursuit également. Mais le temps nous est compté. Il faudra encore faire les sous-titres et en janvier superviser la version française doublée.

Pendant ce temps le distributeur travaille sur les éléments marketing : affiches, bande annonce. Je n’ai pas vraiment le temps d’y mettre mon nez, trop pris par les finitions. J’espère que le film sera bien vendu mais je n’ai ni les compétences ni le recul nécessaire pour en juger convenablement. Je ne peux qu’espérer que les producteurs et Europa savent ce qu’ils font.

Il faut tout faire vite, penser vite, exécuter vite.
Le temps des regrets est déjà venu. Les modifications du scénario par le montage me font réfléchir aux lacunes de l’écriture. J’essaie de ne pas y penser. C’est trop tôt. Mais je sens poindre les premières lueurs sombres.

Faire un film tient réellement de la performance. Tout doit être fait ici et maintenant. Et même au montage, le temps aujourd’hui imparti à la post production n’est pas synchrone avec le temps de la réflexion. C’est toujours trop tôt ou trop tard. Cela demande une tension nerveuse permanente. A moins de laisser faire le hasard. Je m’y soumets quelques fois mais j’essaie d’en circonscrire l’intervention.
Le hasard il faut savoir le recevoir et le transformer en occasion d’inventer. Parfois pour le mieux et parfois pour le pire. C’est excitant et exténuant. Et puis vient le temps de contempler le désastre ou le spectacle si on n’est pas trop déprimé.

Les finitions sont comme une voie toute tracée. Avant on pouvait  encore décider des courbes du chemin, maintenant c’est fini. On suit le chemin et on essaie de faire au mieux. Si on me proposait d’arrêter, de revenir en arrière, de réfléchir encore, je refuserais. Le film est le symptôme du moment. Il faut l’accepter. Il serait maintenant inutile de refaire le chemin pour vérifier si c’est le bon. Les décisions ont été prises, c’est trop tard, il faut l’assumer.

La projection de presse s’est bien passée. Ça ne veut rien dire. Ça veut juste dire qu’elle ne s’est pas mal passée et c’est déjà ça. On monte l’escalier marche après marche. On ne regarde pas vers le sommet. J’ai connu des projections de presse terrifiantes, des premières réactions déprimantes. Là, au contraire on me renvoie ce que j’ai voulu faire. C’est satisfaisant. C’est partiel mais c’est déjà bien.

Passer le test des journalistes. Passer le test des professionnels, le test des spectateurs. Et essayer d’y trouver quelque vérité sur le film. Ce n’est pas suffisant. Il y a aussi le test du temps. Le temps proche et puis les années qui passent. Je pense aux Patriotes. Poussé par les premiers journalistes comme un événement, puis sélectionné à Cannes puis descendu par les journalistes suivants puis mal sorti au mois de juin, échec commercial. Cet échec m’a sorti de la route que je m’étais imaginée. Il m’a fallu presque vingt ans pour la retrouver.

On a tendance à trop se regarder quand on fait un film. A trop aimer ses images et ne pas vraiment les voir. A surestimer ce qu’on a fait. Le réel peut vous mettre des claques, vous réveiller ou vous assommer.

Le temps du réel approche à grand pas.

15 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 13



La semaine qui vient va-t-elle être enfin celle de la sérénité ? On va s’en approcher en tous les cas.
Je n’ai toujours pas vu en continuité la dernière version du montage. Celle où a été intégrée la toute dernière séquence composée des images d’archives, celle où nous avons fait les deux ultimes coupes (L’une cosmétique et l’autre très importante) et un ajout de plan (de moins d’une seconde mais signifiant). Mais là-dessus je n’ai pas d’inquiétude.

Il me reste une petite interrogation sur le calage et le fonctionnement de la musique finale. Je vais me faire projeter le film mardi soir pour en avoir le cœur net et décider définitivement. Ça concerne la fin de la dernière scène. Il est impossible de juger réellement sans avoir vu tout le film, savoir ce qui nourrit la fin et comment cela doit être amplifié. Mais enfin, le temps des angoisses semble terminé.

Nous travaillons maintenant en auditorium de mixage et en salle d’étalonnage. Là où se peaufinent le son et l’image. L’enjeu est ici de livrer un son impeccable, sensuel, signifiant et une image glamour, agréable, chaude. Nous donnons au film sa peau sonore et visuelle après en avoir travaillé l’ossature jusqu’au dernier centimètre. Est venu le temps de lui apporter sa brillance.

Cette brillance ne changera rien au fonctionnement de l’intrigue, ni au style de la mise en scène, ni à la signification de l’histoire. Cela peut amplifier, nuancer l’émotion. Il s’agit aussi de ne pas faire d’erreur, de ne pas faire de faute de goût. Maintenant encore on peut descendre d’une marche. On ne peut plus dégringoler. Le film est fait, il est à l’étage où il doit être.

Je peux encore travailler ce qui fait son cœur : la sensualité et l’émotion. Là, les qualités de l’image et du son peuvent encore jouer leur rôle. Si l’émotion est structurée, on peut encore décider de sa chair. Nous allons travailler jusque début janvier, enfermés dans des salles très techniques, sans voir le jour, loin, très loin du tournage.

Il est encore trop tôt pour se retourner sur le film et  faire un bilan de ce qui est réussi ou raté. Trop tôt aussi pour recevoir sa signification et la comparer aux intentions. Trop tôt enfin pour analyser ce qu’il dit malgré moi.

J’ai appris. Techniquement et esthétiquement. J’ai encore appris. Ouf ! A cinquante deux ans, j’espérais bien encore apprendre. C’est un âge qui me paraît parfait (comme tous les âges on dira). Une vraie expérience que l’on peut mettre au service d’un désir d’invention. C’est un âge mûr pour faire un film. Oui, la jeunesse à l’œuvre dans Un Monde Sans Pitié est bien loin. Oui la témérité des Patriotes est derrière moi. Mais je me suis mis en risque sur ce film. Il en aurait été autrement que le projet n’en aurait pas valu la peine.

On me demande souvent si je suis content. Je déteste cette question. Je ne suis jamais content. C’est une question trop simple. Je ne sais quoi en faire. Question de caractère. Je suis content du film sous certaines descriptions et insatisfait sous d’autres. Je suis en tous les cas content d’avoir pris ce risque. Je ne le regrette pas. Quel qu’en soit le résultat, quelles qu’en soient les réactions, j’ai misé, j’ai perdu ma mise, je ne sais pas si je vais gagner ou perdre, mais je suis content d’avoir misé.

Au-delà du résultat et de sa réception, cette mise valait la peine, valait l’angoisse, valait l’énergie incommensurable que demande l’écriture et la réalisation d’un tel projet.
Viendra l’angoisse de l’objectivation. Que dit ce film ? Que montre-t-il ? Quel spectacle propose-t-il ? Mais aujourd’hui, à quelques jours j’espère d’un certain apaisement, je  parviens à penser que j’ai eu mille fois raison de l’entreprendre.

08 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 12


Le film sort le 27 février prochain.
La date a été choisie il y a presqu’un an par le distributeur estimant qu’il s’agit d’une des meilleures dates de l’année.
Je ne m’y connais pas assez pour en juger avec grande précision. Octobre et novembre sont également considérés comme de bonnes périodes pour sortir un film. Mais fin février est considérée comme la meilleure.
Dès le début, cette date m’a fait peur. Parce que j’estimais qu’elle ne me laissait pas assez d’air dans le processus de post-production. On pouvait parvenir à livrer le film pour le présenter à la presse quelques semaines avant la sortie comme il se doit, mais au prix d’une accélération dangereuse de la fabrication dans les dernières semaines, à la merci d’un aléa quelconque qui rendrait le travail angoissant et infernal. Au prix d’un manque de recul patent pour la multitude de décisions qu’il y a à prendre maintenant. Au prix aussi de ne pouvoir montrer à certains qu'une copie non définitive, ni à l'image, ni au son.
J’ai accepté cette date car elle convenait au distributeur, aux producteurs et bien entendu au film lui-même, lui donnant ses meilleures chances d'être vu par le plus grand nombre. Je l’ai accepté en me disant que je ne bâclerais jamais le film pour livrer dans les temps. Je savais alors que je m’engageais dans une mécanique infernale que moi seul allais devoir assumer.
Car le film pour certains est déjà quasiment livré. Il est là, il n’y a plus qu’à le polir. Le reste est caprice ou coquetterie d’artiste.
Oui le film est là mais il n’est pas terminé.
Et aujourd’hui, le cauchemar redouté a commencé. Je suis entré dans une période de folie ou tout doit être fait en même temps sous peine de non livraison et tout doit être fait à l’arrache sous peine de livraison baclée.

Je termine demain mon court séjour à Bruxelles où je suis venu superviser le bruitage, apporter la patte de la mise en scène. Oui chaque bruit est une occasion signifiante, une occasion d’appuyer une émotion, nuancer une intention, éclaircir une signification. D’habitude j’assiste à tout le bruitage. Là j’ai du me contenter de venir que trois jours pour passer chaque bobine en revue afin de réaliser mes demandes.
Toutes les heures je dois sortir du studio d’enregistrement pour relever mes mails et y répondre car la connexion ne passe pas à l’intérieur. Toutes les heures je reçois des propositions de VFX sur les plans truqués que je dois valider ou non, rédiger mes remarques. Je reçois des propositions sur le générique, dialoguer avec ceux qui s’en occupent. Je reçois également des propositions sur le dernier morceau de musique que Jonathan compose actuellement. Je dois réagir aux envois du montage son, écouter les bobines, rédiger mes remarques et mes demandes de modification.
Nous devons également avec la chef monteuse terminer cette ultime séquence composée d’images d’archives dont les dernières sont arrivées seulement il y a deux jours. Il s’agit d’une séquence importante pour sa valeur d’articulation narrative. Mais je n’ai plus le temps d’être au montage. Nous communiquons par mail et par envois de séquence via internet.
Et nous avançons sur tous ces points sans le recul nécessaire.
Toutes les heures je dois prendre des décisions sans avoir le temps d’attendre quelques jours pour savoir si ce sont les bonnes. Je n’ai même plus le temps de revoir le film en entier pour valider ce qu’on y intègre en terme de VFX ou de nouveaux plans.

Oui le film est là mais il n’est pas terminé. Avant, il n’y a pas si longtemps, nous faisions tout ça dans l’ordre, une chose après l’autre. Aujourd’hui nous devons faire tout en même temps, pratiquement sans réfléchir. Comme par instinct non questionné. Nous sommes revenus dans l’ordre de la performance comme sur le tournage. C’est une gymnastique angoissante car que se passe-t-il quand nous ne trouvons pas la solution à un problème, un nœud ? Il ne se passe rien. Nous n’avons pas le temps d’attendre. Quand nous ne trouvons pas la solution, eh bien il n’y a pas de solution. Il faut choisir entre le mal et le mal. Entre les quelques pauvres idées dont il faudra se contenter.
Je ne veux pas ne pas aimer une seconde de ce film, je ne veux pas ne pas en assumer un mètre de pellicule, je ne veux pas avoir un regret aujourd’hui. Demain, quand il sera définitivement terminé, oui j’aurais des idées de mise en scène et même d’écriture. « J’aurais évidemment du faire ça comme ça, là, ou là ». « Quel idiot je suis ! Ça saute aux yeux. Comment n’ai-je pas pu le voir ? »
Oui, demain, après demain j’aurai des regrets. Mais ils concerneront un temps révolu. Aujourd’hui je peux encore agir, et essayer d’agir au mieux.
Je porte la croix de cette date de sortie. Je redoutais ce moment et il est arrivé. Le moment où les regrets sont là devant moi. Ils n'existent pas encore. Ils sont juste une promesse.
Pas un instant pour penser. Pas un instant pour s’arrêter et regarder où on en est. Fini ce luxe. Maintenant tout est définitif. Chaque décision est lourde d’être sans appel.
Ça va être de pire en pire jusqu’à la fin de l’année où nous terminerons le mixage.

Certains pensent que le film est livré, que « ça va », que l’artiste est angoissé de toute façon par définition. On s’attendrirait même devant le « perfectionniste ».
Le film est là mais il n’est pas terminé.
Je ne peux plus foutre le film en l’air. C’est certain. Je peux encore l’abîmer par manque de lucidité, je peux encore rayer la carrosserie avec un mauvais choix. Je peux certainement encore en altérer la qualité. Je peux aussi simplement manquer de le parfaire.
Et il peut encore y avoir une seconde ou un mètre de pellicule qui me fera honte dans quelques mois. Je lutte contre ça de toutes mes forces et contre beaucoup de monde aujourd’hui.
Chacun sa merde on me dira.
Exact.
Lundi nous commençons le mixage. Normalement au mixage, l’image est terminée, scellée, définitive. Elle ne le sera pas.  Elle le sera à la fin du mixage. Lundi, nous aurons encore quatre semaines pour parer aux coups. Quatre semaines à mixer pendant qu’on étalonne pendant qu’on vérifie les derniers VFX pendant qu’on choisit le visuel du générique pendant qu’on vérifie encore et encore l’image, cette sacrée dernière séquence qui nous nargue. Quatre semaines où nous ne pourrons finalement pas faire grand-chose sinon nous taper la tête contre les murs devant nos futurs regrets éternels. 

29 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 11


Semaine sympathique encore.
Il nous restait encore un petit clip d’une trentaine de secondes à insérer dans le film. Une séquence composée d’images d’archives. On a reçu les archives au compte goutte et aujourd’hui encore ce n’est toujours pas complet. Voilà, le montage image n’était pas encore totalement terminé.

Lundi après midi j'avais un rendez-vous avec le boss d’Europa Corp, le dernier à ne pas avoir pas vu le film (à part Luc Besson qui attend la version finale). Bon rendez-vous, accueil agréable, bonne impression sur le film. Mais Patatra ! Il me suggère des changements. Pas beaucoup. Mais certains sont relativement lourds. Pour rendre le film encore meilleur me dit-il. Pour le rendre parfait. Pourquoi pas ? Je suis assez serein maintenant pour accueillir des suggestions.

Il faut que je les digère, que je vérifie si elles font écho en moi, si elles m’inspirent quelque chose. Je ne veux pas ne pas aimer un millimètre de mon film, même au nom de l’efficacité. Ce film est une telle alchimie ! Un thriller vendu par le teaser qui est extrêmement efficace ? Oui mais aussi et surtout une histoire d’amour que j’espère inédite. De la chair tremblante, un fluide d’or en fusion qui coule dans les rouages de la mécanique. Non, ce film n’est pas qu’un thriller. C’est bien plus. Ce n’est pas un film de genre. Ce film est émotionnel. Je le veux palpitant comme un cœur pendant l’amour. JD et CdF ne sont pas là pour jouer une partition mécanique. Ils sont là pour qu’on tremble avec eux, que l’on tremble d’émotion. C’est ce que je leur ai demandé. C’est ce qu’ils ont donné. C’est ce que je veux rendre.

Je réfléchis donc, un peu déprimé, aux suggestions qu’on m’a faites. J’ai peur que le château de cartes si fragile s’effondre.
En plus c’est trop tard. Le montage son a commencé depuis longtemps. La post synchro aussi. Et on n’a plus le temps d’évaluer avec recul les retouches qu’on concèderait. Grosse déprime. Je suis lessivé. Remettre de nouveau le film sur le métier. Nous laissons passer quelques jours pour digérer tout ça. Je ne suis pratiquement d’accord avec rien. J’ai même du mal à comprendre. Et j’ai peur. Peur de distordre le film. Et pourtant nous nous devons d’en tenir compte. Ne serait-ce que par acquis de conscience.

Nous laissons passer un peu de temps, travaillant la post synchro encore. Et aujourd’hui on s’y met de nouveau. Nous essayons quelques trucs cosmétiques. Puis nous osons encore des modifications plus importantes, sachant que tous ceux qui travaillent sur le film vont devoir  de nouveau s’adapter : monteurs sons, monteurs parole, bruiteur, post synchro. Ils vont devoir tous modifier leur travail en conséquence. Virer les sons des plans qui sautent, travailler ceux qui s’ajoutent.
Mais nous sortons relativement contents de cette séance de travail. Nous n’avons pas encore assez de recul pour savoir si ce qu’on a fait est bien. Mais l’impression est bonne.

C’est le problème. A partir de maintenant tout va très vite. Tout se fait en même temps. Je cours à droite à gauche, mettre le nez de la mise en scène partout où je peux. C'est à dire partout. Et l’image qui change encore ! Ça donne le tournis. L’urgence rend chaque modification périlleuse.

C’est la Post Production. Le film continue de se faire à moins de trois mois de la sortie. Ne jamais baisser les bras. C’est parfois terriblement angoissant, déprimant. On a peur de céder, de se déjuger, de se tromper. En fin de semaine prochaine je serai à Bruxelles pour le bruitage. On entre en mixage dans dix jours. Et quand on entre en mixage, le sort en est jeté. L’image est scellée. On ne touche plus à rien. Encore dix jours… avant de mettre un point final à l’image de Möbius.

24 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 10


Semaine fiévreuse.
Elle a commencé dans une relative sérénité par une journée de Post-synchro avec CdF. Elle s’est terminée dans une fièvre créative insensée liée aux délais qui nous séparent de la sortie très proche (27 février).
Je craignais depuis le début que ces délais serrés nuisent au recul nécessaire au travail de post-production. Monter un film exige des temps de pause, de repos de l’esprit. Autant le tournage participe de la performance, autant le montage demande de la réflexion, de la sérénité, de l’air. On a besoin d’air. On a besoin de regarder le film avec des yeux neufs, après certains épisodes de construction. On a besoin d’air pour évaluer les modifications. On a besoin d’air pour digérer le sentiment des autres. Il faut se poser.
Pas trop non plus car le montage est aussi affaire de décision. Et la décision est toujours affaire de sacrifice. Qui ne veut sacrifier aucune potentialité ne saura mettre un terme au montage. On peut s’arrêter un an et revoir son film. On le changera alors du tout au tout. Et cela indéfiniment.
Le film est finalement une photographie de ce qu’on peut faire à l’instant donné. C’est le symptôme du moment.
Mais enfin il s’agit aussi de décider sous quelle forme on va l’offrir et c’est quand même bien de pouvoir un peu penser son film.

Donc on commence à mixer la musique : quatre jours, là aussi, pour mettre un terme quasi final à ce que sera la musique du film. Là aussi prendre des décisions lourdes de conséquence. Je me retrouve donc à Montreuil dans un minuscule studio avec Jonathan Morali et son ingénieur du son. Et là, on mixe, on modifie des sons, des temps, à l’image. J’apporte le point de vue de la mise en scène. Jonathan apporte le point de vue du compositeur et du musicien. Le temps imparti nous oblige à réfléchir vite, à décider vite. La couleur du film, son intensité émotionnelle est en jeu.
Pendant ce temps on cherche encore des « synchros » (ces musiques qui ne sont pas originales et dont on a besoin dans le film – musiques qu’on entend dans les différentes boîtes ou bar dans le film, musique d’ambiance mais pas seulement, elles ont souvent une fonction de musique de film). Le budget nous contraint à jongler avec les trouvailles, les désirs, les réalités. Ce n’est pas évident non plus.

Et voilà que, je ne sais pas pourquoi ni vraiment comment, nous avons soudainement au montage l’idée, le souhait d’essayer une sorte de révolution : changer le début du film.
Trop tard ! Le montage son a commencé, si on modifie quelque chose tout le monde va devoir suivre et personne n’a le temps ni le luxe de ça.
Mais quoi ? On va le faire quand même. On veut essayer. Un peu de temps a passé depuis la fin du montage image. Le travail sur la musique nous en a éloigné. Le recul nous a permis d’adapter notre point de vue. Il faut essayer.
Une projection est prévue ce dernier vendredi. Nous avons deux jours pour donner ses chances à cette révolution. Après ça sera fini. Pendant que je suis à la musique, Pascale Fenouillet, au montage, cherche les solutions pour concrétiser au mieux la nouvelle idée. Elle m’envoie les différentes versions par Internet, je réagis au téléphone, on travaille en parallèle, de la salle de montage au studio de mixage. Une ambiance de fou, de créativité fébrile. Je passe mes heures à écouter un morceau de musique en train d’être élaboré pendant que je réagis à une proposition de montage, pendant que j’écoute une nouvelle proposition de chanson pour telle séquence, pendant qu’à nouveau nous essayons un nouvel son sur tel morceau, pendant que je reçois une nouvelle version de la séquence, pendant que j’écoute encore six propositions de musique pour la séquence de boîte… bref.
On arrive finalement à la projection du vendredi. Je vais enfin voir le film dans sa continuité avec toutes les musiques originales mixées, les dernières modifications de montage, et la petite révolution que nous avons opéré dans la fièvre.

Projection émouvante. La musique vient soulever le film à des hauteurs encore jamais vues jusque là dans le processus de fabrication. Le nouveau début modifie l’entrée dans le film, modifie donc le sens des premières minutes et c’est une  surprise enthousiasmante.
Le film n’est plus seulement là mais il commence à s’imposer, massif.
Et je commence à y croire.
Jusqu’à la prochaine crise, bien sûr.

19 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 9


Les teasers sont faits pour teaser.
Celui-là tease, à n'en pas douter.
Ce n'est évidemment pas moi qui l'ai réalisé ni conçu.
Je reste généralement en dehors du processus de commercialisation. D'abord parce qu'en l'occurrence je n'ai pas le temps et ensuite (et surtout) parce que je m'estime mal placé pour juger d'une bonne campagne de publicité. C'est d'une part un travail de professionnel et d'autre part je manque de recul pour apprécier la façon dont on doit vendre mon film.
J'ai évidemment du mal à regarder les bandes annonces de mes films en essayant de me mettre à la place du spectateur que je peux être.
Bref... 

Cette semaine nous travaillons la musique.
Nous étions en enregistrement la semaine dernière et maintenant nous sommes en mixage (de la musique).
Je participe à toutes les étapes de la post-production où la mise en scène peut encore intervenir, sur l’émotion ou sur la signification.
Je participe donc à toutes les étapes car nulle part il est uniquement question de pure technique. Des choix esthétiques et signifiants peuvent être faits. Des erreurs peuvent être commises également. C’est pourquoi je suis là.
La musique a une importance considérable à cet égard.
La musique colore les scènes, elle induit le sens de leur lecture. Etrangement elle agit autant sur l’émotion que sur le sens.
En terme d’émotion, elle appuie celle qui est créée par la scène. Elle a une fonction de modulation de l’intensité. Avec la musique on peut soit amplifier l’émotion soit l’émousser, selon le souhait. Il faut évidemment faire attention à ne pas trop l’amplifier car on peut tomber ainsi dans l’emphase voire le ridicule.
Mais la musique a aussi une fonction sémantique. Elle induit la lecture d’une scène, elle appuie ou même crée le point de vue.
Imaginez la scène dans « Orange Mécanique » où la bande se bat au bord du canal. Si la musique avait été à ce moment celle d’une scène d’action, le sens aurait été très différent. La musique de cette scène apporte un décalage extraordinaire et impose du coup une lecture.
L'affirmation d'un film passe aussi et quelques fois surtout par la musique.

Il faut donc parler avec le compositeur du point de vue qu’on désire exprimer sur les scènes. Ce qui n’est pas toujours évident. Il n’est pas facile de savoir exactement ce qu'on veut dire, avec quelle orientation et quelles nuances apporter.
C’est pourquoi le dialogue avec le compositeur est un des plus profonds que l’on puisse avoir, il porte sur l’âme même du film, son sens, sa puissance dramatique. On est obligé de rendre compte avec exactitude de ce qu’on veut exprimer, quelques fois en termes très flous, très abstraits voire poétiques. On se pose alors des questions inédites et on doit parfois adopter un langage très imagé, ou très intellectuel.

La musique appuie l'affirmation, impose une perspective et souvent, à la faveur du montage d’une musique, on découvre littéralement le point de vue exigé soit par la narration soit par l’émotion. La musique permet de découvrir les potentialités émotionnelles et sémantiques de son film. C’est une sorte de révélateur.
Il y a donc de lourdes décisions à prendre en tenant compte du risque de « tuer » une scène à cause de la musique, ou d’influer sur la continuité en imposant une lecture qui peut modifier le reste de l’histoire.

Là on parle de la composition, de l'enregistrement, mais, et c’est le sujet du moment, ça se joue aussi au mixage de la musique. La couleur de tel instrument ou son niveau peut en lui-même être signifiant.

On peut tout laisser au hasard. On peut aussi décider de maîtriser au maximum les éléments qui vont intervenir sur le sens. C’est ma façon de faire. La mise en scène passe aussi par la couleur du son d’une seule note de piano.



13 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 8

Je crois que c'est fini.
Si on ne compte pas l'écriture, on peut dire que ça fait un an que l'on travaille sur le film. Il y a un an, j'étais déjà en repérages à Monaco, puis en casting à Moscou.
Si on compte l'écriture on peut rajouter cinq ans.
C'est dire si le dernier mois avait toutes les raisons d'être stressant.
Cette dernière phase de montage image est celle ou tout se fige, quasi définitivement. C'est le moment où l'on décide quel est le film qui sera projeté en salle. C'est le moment où l'on fait couler la cire, il n'y aura plus de retour en arrière.
C'est la frontière entre les espoirs et les regrets.
Ce qui justifie le stress insolent qui a accompagné ces dernières semaines. C'est connu, c'est balisé mais c'était cette fois-ci particulièrement fort.

Avec l'âge et l'expérience - c'est mon huitième long-métrage, le premier étant "Un monde sans pitié" - je supporte de moins en moins qu'on m'oppose une expérience plus faible pour discuter mon travail. Pour mon premier film, le producteur Alain Rocca avait quasiment mon âge, c'était également son premier film. Nous étions solidaires dans l'inexpérience et je devrais dire l'inconscience.
Aujourd'hui je sais ce que je fais, je sais comment je dois le faire, et je sais aussi que je ne peux le faire ni seul ni pour moi. Ce qui veut dire que je connais la valeur du regard de l'autre, de son sentiment, de ses impressions. Je connais la valeur de l'étape d'objectivation de ce que je produis.
J'en connais la valeur mais j'en connais aussi la limite, voire l'illusion. Chacun a ses angoisses sur un film, angoisses liées à ce que peut représenter le film dans sa propre vie : un succès ? Une fierté ? Une garantie ? Une médaille ?
Ceux qui signent le film ont peur, chacun à sa manière.
Le destin du film va marquer un certain nombre de gens qui ont travaillé dessus. Les producteurs, l'auteur bien sûr, quelques "chefs de poste" situés à la limite entre l'artistique et la technique  comme le chef opérateur qui signe la lumière, le chef décorateur ou la chef monteuse dont on évaluera le travail. Le compositeur sera jugé également. Les acteurs bien sûr et en particulier les acteurs principaux.
Chacun a fait un pari. Chacun a misé quelque chose. Et comme le veut la théorie des jeux, la mise est perdue.
Nous sommes, chacun à son niveau, à un moment où la mise est perdue et les jeux sont faits.
Le verdict commercial, c'est à dire financier, sera rapide le jour de la sortie. Le verdict artistique le sera moins. L'expérience du film "Les Patriotes" est édifiante à ce sujet.

Nous n'avons pas misé la même chose, et nous n'allons gagner ni perdre la même chose.
Mais ce qui est certain c'est que la bataille qui vient d'avoir lieu est le symptôme de cette perte. C'est bien parce que la mise est perdue que la peur s'est mêlée au processus de création, au dialogue nécessaire. La peur est mauvaise conseillère dit-on. Elle accompagne pourtant chaque phase de la fabrication d'un film. Elle n'est pas répartie de manière égale et c'est là que l'expérience joue.
Quand on n'a aucune expérience, on n'a pas peur. Mais dès le second film, la peur apparaît et collabore avec plus ou moins d'allant.
La peur explique pourquoi certains s'enferment dans ce qui fait leur succès, pourquoi ils s'identifient à l'image que leur renvoie le public. C'est la peur qui vous soumet à l'autre. La peur de perdre ce qui a été acquis. Cette même peur de perdre qui affaiblit les politiques et qui peut les rendre dangereux.

J'ai certainement peur de perdre moi aussi. Mais c'est bien plus effrayant de perdre le film qu'on fait. Je voudrais réellement qu'on sorte retourné de ce film. J'ai oeuvré pour ça. Qu'on en sorte retourné et heureux de l'avoir été. Cela signifierait que les quelques affirmations du film ont porté. Mais je souhaiterais aussi avoir réussi ce pari sans me renier ni me contredire. Bref, j'aimerais aimer ce film aussi. C'est pourquoi je me suis battu. Et c'est pourquoi j'ai souffert ces dernières semaines. J'ai souffert parce qu'à certains moments j'ai senti que l'enjeu était d'une certaine manière de renoncer à aimer moi-même le film.

Le montage image est à 99% terminé. Je n'ai renoncé à rien d'essentiel, et surtout à aucun bout de terrain que je jugeais stratégique. J'ai entendu les réactions unanimes. Quand un point fait l'unanimité il faut en tenir compte même si évidemment cette unanimité est limitée par le nombre. Dès qu'un point fait discussion, on peut ne pas le relever, on peut défendre son point de vue. Si le sentiment est partagé par tous alors c'est folie de ne pas en tenir compte, c'est là qu'on fait le film seul et pour soi même.  J'ai donc tenu compte de l'unanimité. Qui d'ailleurs ne s'exprime pas toujours très clairement.
Ce qui est certain c'est que cette même unanimité, aujourd'hui, vient soutenir les moments les plus importants du film, ses affirmations, ce qu'il pose sur la table comme étant son identité, je pourrais dire son invention. La vraie terreur aurait été que l'invention du film fasse unanimité contre elle. Aujourd'hui c'est le contraire. Elle emporte l'adhésion. C'est pourquoi je peux sortir du montage image apaisé. Enfin.

07 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 7

Je suis épuisé.
Le temps de la colère est passé. Voici le temps de l'anéantissement.
J'ai livré le film aux producteurs. J'ai dit : voici le film que je livre. S'ils avaient encore de petites remarques à faire (les "quinze dernières secondes" dont je parlais de manière un peu métaphorique), il fallait qu'ils fassent le deuil du film qu'ils auraient voulu avoir et acceptent celui que j'ai écrit puis réalisé. Je ne toucherais plus rien en attendant le verdict des distributeurs (EuropaCorp).
Les distributeurs ont vu. Ils ont aimé paraît-il (je n'ai pas assisté à la projection pour leur laisser le loisir de parler librement). Ils ont vu que le film tenait sa promesse. Ils sont contents. Ce qui n'est pas rien vu justement l'ambition de la promesse.
Ils ont des remarques sur des détails, des moments, rien de fondamental paraît-il, rien qui remette le film en question. Juste des remarques. C'est légitime. C'est le jeu. Le distributeur, surtout quand il s'agit d'un grand groupe comme celui-là, dont l'investissement a été conséquent et vital, a son mot à dire.
C'est le jeu d'écouter, voire d'entendre et de continuer à travailler.
Mais je ne sais pas comment je vais trouver la force, de nouveau, d'essayer de comprendre, d'imaginer des solutions qui me satisfassent autant qu'eux, de renoncer à des choses si je ne suis pas convaincu.
J'avoue que j'atteins ici, ce soir, ma limite.
Le temps maintenant nous est compté. Il va falloir probablement faire des choix douloureux, choisir entre eux et moi sur certains points. Choisir entre le renoncement d'un côté ou l'incroyable épuisement qui résulte de la résistance.
Quelle putain de solitude.
Parce qu'il ne faut pas croire que résister est facile. C'est exténuant. Défendre une scène qu'on a écrite, tournée, désirée et que l'on continue d'aimer, de trouver légitime, défendre cette scène envers et contre tous, envers une certaine unanimité, ce n'est ni facile, ni reposant.
J'ai du mal à renoncer à contenter tout le monde. Quelques fois on n'a pas le choix. Il faut trancher. Et aucune option n'est confortable. Aucune.
Aujourd'hui vient la phase de l'inconfort absolu qui consiste à défendre un bout de terrain dont on ne sait absolument pas s'il en vaut la peine.
J'aimerais être fou. j'aimerais faire l'artiste. J'admire ceux qui le sont, ceux qui le font. Mais ça me demande à moi une énergie considérable. A un moment de fragilité extrême.
Je dois jouer le jeu. On ne me dit pas assez que c'est bien. On me le dit, on me le dit plus que sur de nombreux autres films que j'ai livrés. Je devrais m'en contenter. Mais je n'y parviens plus.
Je ne sais pas si je vais avoir la force de tenir la barre. Si je ne vais pas devoir la lâcher un peu, au risque de m'en vouloir plus tard, de le regretter profondément. Il faut que je me persuade que ça sera négligeable au vu du film global.
Les dernières batailles sont dérisoires, d'un côté comme de l'autre. c'est là que la question de confiance est posée. C'est pourquoi il faut travailler avec des gens de confiance absolue. Car c'est dans ces moments là qu'il faut se reposer sur cette confiance. La confiance ici est ébranlée, fatigue oblige.
Je dois jouer le jeu. Je ne fait pas le film pour moi. Je le fais pour le sortir de moi et l'offrir aux autres. Ce film, c'est moi, mais je ne m'appartiens plus. C'est le douloureux paradoxe.
Rien ne m'attristerait plus que de réaliser dans quelques mois que je me suis accroché à des chimères, et rien ne m'attristerait plus que de m'apercevoir que j'ai lâché des choses essentielles.
J'en fais trop, je prends les choses trop à coeur. Je suis c'est vrai au bord du burn out.
L'expérience qui est la mienne ne m'est d'aucun secours. Peut-être parce que ce film est important. Peut-être parce qu'il est ambitieux. Je ne sais pas. Peut-être parce que l'expérience justement joue contre moi.
Pourvu que ça ne dure pas. Parce que là, ça commence à faire beaucoup.

03 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 6

Les 15 dernières secondes de combat...

L'ambiance a visiblement changé.
A la dernière projection, on sentait la différence. Les gens étaient contents. Il n'y avait plus ce sentiment d'avoir un film potentiellement bien. Juste un sentiment de contentement.
"C'est très réussi", "c'est un grand film", "Le film est là", "La promesse est tenue".
Il ne faut pas plus être dupe de cette bonne impression. Je la constate juste. C'est mieux comme ça quand même.

Le montage image touche à sa fin. A chaque projection, le nombre de modifications à apporter s'amenuise. La plupart des noeuds ont été dénoués. Des solutions ont été apportées à chaque point d'accrochage. Pas partout. Il y a des endroits du film que j'ai défendus bec et ongle, autour desquels j'ai érigé une forteresse : pas touche.
Mais j'ai tenu ma ligne : l'écoute flottante.

C'est vrai que je me suis particulièrement braqué. Pas supporté la façon de me dire les choses, vu de l'irrespect dans chaque mot. Mon impatience a joué un rôle quand on me renvoyait à mon atelier en me disant : pas encore là.
C'est vrai que c'était dur et anxiogène. Mais la parade a été, comme d'habitude, la souplesse. La raideur pompe trop d'énergie. Tant qu'il est possible d'être souple c'est préférable dans la mesure où il reste encore deux mois terribles à passer, terribles au sens où je vais devoir me démultiplier.

J'ai décidé d'entendre toutes les "horreurs" qu'on me dit et d'écouter ce que ça réveille en moi pour améliorer le film comme je le vois, comme je le désire.
Mais c'est très difficile de savoir ce qu'on veut. Très. Comme si on était transparent à soi-même, comme si les sentiments qu'on pouvait avoir sur son propre film n'étaient pas mêlés, complexes voire contradictoires : plaire aux autres ? Plaire à untel ou untel ? Se satisfaire soi-même ? Admirer son propre travail ? Chercher le succès ? Chercher la reconnaissance ? Que doit-on sacrifier pour obtenir l'un ou l'autre ? L'accord parfait ne semble pas exister. Il faut faire un choix.
Qui a raison et pour aller où ?
Je ne veux pas avoir de regret. Je ne veux pas trancher aujourd'hui et me mépriser plus tard. Mais comment savoir la vérité ? Il y a là une impasse.
Le "connais toi toi-même" confirme ici son ridicule. Ecoute ton coeur, sois toi-même : autant d'absurdités. Je n'y ai jamais cru et ce n'est effectivement qu'une question de foi. On ne lit pas en soi on croit lire en soi. Combien de gens n'a-t-on pas vu se mentir à eux-même ? Sincèrement ?
Bref.

Oui j'ai décidé de faire confiance à ma propre vision et de piller ce qu'on me dit, même les choses les plus étrangères pour mettre toujours à l'épreuve mes propres convictions. Sur cette scène dont on est satisfait et qui ne passe pourtant pas, n'y-a-t-il pas quelque chose à faire pour que ce soit juste mieux ? Quoi ? Qu'importe, écoutons ce qu'on nous dit même si ce qu'on dit est faux, écoutons le et voyons si ça ne nous inspire pas une possibilité d'améliorer. Pas pour que "ça passe" auprès de ceux qui résistent. Mais pour que ce soit mieux à nos propres yeux.
Et tout le film y est passé comme ça. Il a gagné. A nos yeux et aux yeux des autres. Et l'attention était grande de ne pas nous trahir nous-même dans l'opération. De ne pas être dépossédé.
Il y a des moments où c'était sur la corde raide. Ça peut se jouer sur un plan. Un seul !
Un plan unique peut devenir l'objet d'une véritable bataille idéologique entre le film tel que je le défends dans le noir et le film qu'on voudrait que je livre au nom des intérêts supérieurs de la nation. Combat inégal. Et un seul plan peut être prétexte à une véritable fureur.
Nous avons été assez souple pour apaiser à chaque fois cette fureur sans que personne ne sorte perdant.

Sauf les endroits décrits plus haut comme étant les forteresses imprenables, celles qui sont l'affirmation du film, celles pour lesquelles je ne rendrai jamais les armes. Il n'y en a plus beaucoup et elles se résument, croyez-le ou non, à un plan, ou une phrase de dialogue.

Jusqu'à hier il restait néanmoins un point d'accrochage majeur.
Les quinze dernières secondes de combat.
La colline pour laquelle deux armées entières peuvent se battre, le point stratégique qui peut se résumer à un point d'eau minable, à un carré de verdure dérisoire. La fureur...
Oui quinze secondes qui résumaient à elles seules le gap entre celui qui fait le film et tous les autres. Tous les autres. Les quinze secondes qui vous plongent dans la solitude, pour lesquelles vous n'avez que peu de soutien. Votre armée ne tient que dans la salle de montage ou dans le studio musique.
Contre tous les autres.
Quinze secondes (donc moins qu'un plan) dont vous avez le sentiment qu'elles font votre film. Si vous les coupez, c'est votre film que vous salissez, trahissez. Si vous les lâchez vous abdiquez.
Dérisoire non ? Peut-être. On pourrait trouver ces quinze secondes dans les films qu'on aime. Les quinze secondes qui font qu'un film s'affirme ou non, pose quelque chose ou non. Elles ne sont jamais si essentielles que ça bien sûr, elles ne font jamais basculer le film vers le oui ou le non. Mais elles sont exemplaires et stratégiques. Vous êtes dans ces quinze secondes. Et c'est bien parce qu'on les attaque que vous les défendez. C'est parce qu'elles sont remises en cause qu'elles deviennent fondamentales.

Il restait ce point d'eau à défendre alors que les forces commencent réellement à baisser.
Mais j'ai trouvé la solution hier soir.
J'en suis sûr.
De la même manière, ces quinze secondes, je ne vais pas les rendre, non. Mais j'ai trouvé le moyen de les améliorer, de les transformer de telle sorte qu'elles ne fassent plus l'objet d'une lutte à mort, c'est à dire idéologique. J'ai trouvé le moyen de les préserver sans qu'il y ait de perdant.
Est-ce une façon de parler que de parler d'idéologie pour un film d'amour ?
C'est pourtant là que se joue l'affirmation du film, hors de sa mécanique narrative.
C'est justement au niveau de l'histoire d'amour que le film est un terrain de combat politique. Ce n'est pas dans la description de rapports géo-stratégiques qui met en scène russes et américains, services secrets et puissances financières. C'est dans le rapport amoureux que le film s'affirme, qu'il se signe.

Dans ce film, je ne peux pas dire plus (ni moins) que : la femme relève le gant.
Et c'est là que se situe la bataille entre ce que je veux préserver et ce que je peux concéder.

26 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 5

Le film est né.
A l'issue d'une semaine ignoble où la fureur s'est mêlée au désespoir.
Insomnies, cauchemars, notes prises en pleine nuit, pensées torturées sous la douche. Le film a hanté notre vie. Il nous faisait mal.
Colères, doutes profonds, révolte. Il a fallu néanmoins avancer, malgré la tempête, avancer, mettre nos pas dans les traces que l'on entrevoyait dans le brouillard.
Ecoute flottante, incompréhension, illumination.
Rien de pire que d'essayer de dire quelque chose à quelqu'un quand le message ne passe pas.
On veut d'abord le faire passer à coups de massue, on hait celui qui résiste, mais ça ne passe pas.
On cherche alors en soi les ressources pour modifier la stratégie. On analyse, on décortique et on laisse aussi, encore, l'imagination faire son travail. On imagine de nouveau son film, on se le projette autrement, on en ré-écrit les noeuds dans sa tête.
C'est une horreur. Toujours la même à ce stade du montage. Sur tous mes films. Celui-là peut-être encore plus violemment parce qu'il est important, parce qu'il promet plus grand.
Une séquence supprimée (laquelle ? La bonne), une autre scindée en deux, inversées et déplacée. Un plan qui saute, un autre dont on change la prise (lequel ? C'est celui-là qui fait noeud ? Non, celui-ci, non l'autre encore).
Comment se fait-il qu'un bon scénario ne se retrouve pas ensuite tout simplement ?
Parce que si le scénario doit être la description du film à venir, on ne le décrit jamais parfaitement. Le film s'écrit aussi au tournage puis au montage. Et à la fin, on a un autre film. Obligatoirement. Sinon, j'aurais cette incroyable faculté d'imaginer mon film plan par plan, d'anticiper au détail de regard près le jeu des acteurs, de préjuger parfaitement de l'impact d'une position de caméra, de prévoir sans erreur l'émotion créée par la juxtaposition, dans le bon ordre, de deux plans.
Non, malheureusement, et heureusement le film s'écrit tout au long de sa fabrication, jusqu'à la fin du montage.
Après, il se peaufine.
Et effectivement la lutte est acharnée contre la dépréciation de l'écriture. A chaque étape il faut se battre. A chaque étape il faut monter une marche. A chaque étape on peut dégringoler de l'escalier.

Le film est né.
Pour la première fois j'ai eu les sentiment que dans les moindres détails, la plus fine intention narrative et dramatique, le message est passé. Le film m'a été restitué. La ré-écriture, comme un travail de traduction, de transposition dans une autre réalité, a rendu les intentions de départ du scénario.
Moment éprouvant.
Bien sûr il y a encore des choses à faire, couper par-ci, rajouter par là, changer telle phrase, tel plan.
Mais là, il s'agit de parfaire, seulement parfaire.

Le travail sur la musique a été ces derniers temps une oasis dans cette douleur. Le dialogue avec le compositeur est essentiel et profond. C'est la seule personne avec qui on est obligé de justifier, d'expliquer le sens profond de chaque scène. Et une nouvelle musique livrée permet toujours à une séquence de renaître. De lui redonner ou d'amplifier son sens ou même de lui offrir un nouveau sens. On re-découvre son film avec la musique. Chaque morceau livré, même en maquette permet d'avoir le recul qui manque si cruellement.

C'est encore long jusqu'a la livraison. Montage son, post-synchro, bruitages, mixage, étalonnage, doublage pour la version française. Pour parfaire, enrober, faire encore mieux. On peut encore tout gâcher, bien sûr. Il ne faut pas faire d'erreur, et saisir toutes les opportunités de rendre l'émotion encore plus forte. Ne rien écraser, ne pas se tromper sur le dosage ou la nature d'un son, d'une couleur.
Mais pour la première fois j'ai le sentiment d'avoir gagné la guerre menée contre moi-même.
Pourvu que ça dure... un peu.

22 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 4

Ça n'a pas duré.
En fait on arrive à un moment où je voudrais que ce soit fini.
Je rêverais qu'on projette le film et que ceux qui le "visionnent" (en général les producteurs, les co-producteurs et quelques intervenants dans la post prod) me disent : "c'est fini. Bravo. On part comme ça."
Mais non, à chaque fois on me dit : "c'est une bombe mais ce n'est pas fini" ou "C'est énorme mais il n'y a pas encore le film".
Et à l'issue de la projection, difficile de savoir pourquoi le film n'est pas encore là. On vous donne les raisons et vous les croyez à peine, elles sont en général toute fausses. On se demande même si le sentiment lui-même (que le le film n'est pas là) n'est pas faux, induit par l'angoisse du producteur, ou son fantasme de producteur (celui qui sait).

J'aimerais tellement que le film soit un chef-d'œuvre dès, disons, le second montage. Allez, on en fait un premier, on travaille un peu et hop ! C'est fini. C'est mon rêve sur chaque film. Comme d'ailleurs sur le scénario. C'est également le même processus. On me dit à chaque version ; "C'est beaucoup mieux, formidable, mais ce n'est pas encore là." Et moi à chaque version, j'espère, je prie pour que ce soit la dernière.
Bon, un chef-d'œuvre, peut-être pas, mais un bon film quoi, un truc bien.

Et je suis dans un  état d'énervement maximum. Je les hais tous. Je ne leur reconnais pas le droit de me parler. C'est eux qui ont écrit pendant cinq ans ? Non, ils n'ont fait que lire et juger. C'est eux qui ont tourné ? Non, ils sont venus visiter le plateau, vu les rushes et fait leurs commentaires, qui sur le maquillage, qui sur le rythme du jeu. Ils ont produit le film, oui. Et alors, d'où me parlent ils ? De quel film produit me parlent-ils ? Que le Claude Berri de "Tess" vienne me parler, oui j' écouterai. Que le producteur de "Van Gogh" vienne me parler, mais eux, ils ont fait quoi pour me dire que le film n'est pas là ? Hein ?

A ce stade, je voudrais qu'on me dise que c'est bien (je crois que c'est bien); on ne me le dit pas assez. je voudrais qu'on me dise ce qui est bien, pourquoi c'est bien. Mais non, on ne me parle que de ce qui ne marche toujours pas. En quel nom ? Selon quel critère ? Le critère de ton oeil acéré de spectateur ? Ta surprenante faculté d'oublier que tu es dans le coup toi aussi ? Ta cinéphile exemplaire ? Ton "nez" infaillible ?
Je ne supporte aucune critique. Je prends tout mal. En fait pas tout, certaines sont judicieuses et comme par hasard elles sont toutes venues de JD. Mais les autres, je ne les comprends pas. Elles sonnent comme un manque de respect. Chaque mot qu'on me destine est un manque de respect. Et s'ils ont du respect, alors ils ne savent pas du tout l'exprimer. Les gens ne savent plus se comporter.

Et je sais parfaitement que cette phase est normale, habituelle, voire banale. Que les producteurs font leur job.
Que voulez-vous qu'ils me disent si ce n'est ce qu'ils ressentent ? Et moi ? Ce que je ressens n'est pas plus pertinent ? Pourquoi ce qu'ils ressentent serait plus juste ?
On ne fait pas un film tout seul. Mais là je ne supporte plus les autres. Ceux qui me disent que le film n'est pas terminé. Parce que j'aimerais tellement qu'il le soit. Je vais me mettre à le détester tellement il n'est pas terminé.
Je suis fatigué, c'est vrai. Pas pris de vacances depuis le début de la préparation. Pas fait de pause après le tournage. Ça se paie maintenant.

Je ne supporte pas l'autre en général, celui à qui je montre le film. Il est un ennemi s'il ne me dit pas que c'est génial. Il a une "petite gêne", ce con ? Qu'il aille se faire foutre; il n'y connait rien, il ne parle que de lui, je m'en fous de sa gêne, qu'il s'étrangle avec. Ce sont mes gênes qui comptent pas les leurs. Je suis le mieux placé et non pas le moins bien. Ce qu'ils voudraient me faire croire.
Pourquoi, à l'issue des projections, ne me demande-t-on pas tout simplement ce que je compte faire, ce qui ne me plaît pas encore, ce que je veux améliorer ? Pourquoi ne fait-on pas confiance à ce que je ressens moi avant toute chose ?
Etrange étape...

Pourtant je sais parfaitement quelle doit être ma démarche positive : l'écoute flottante. Ecouter vaguement tout ce qui se dit, ne rien retenir de spécial, ne croire aucune remarque en particulier mais être attentif à l'écho que ça provoque en soi. Voir si dans ce qui se dit nos propres réserves ne se confirment pas. Quelques fois on apprend quelque chose sur ce qu'on a fait. Mais c'est comme une illumination. On ne l'avait pas vu mais maintenant que c'est dit c'est évident. Ne retenir que l'évidence...

Voilà, attendre juste que ça fasse mouche dans le maelström de remarques qu'on me fait, toutes plus désobligeantes les unes que les autres. Passer sur l'ineptie et la vulgarité de ce que j'entends. Nous en servir, nous en inspirer pour tracer la voie qui est la notre. Notre voie. Pas la leur.
Piller dans les discours discourtois ce qui est bon pour le film selon notre vision à nous.

Cette semaine on retravaille encore, encore et toujours. On a vu des trucs à faire, à régler, à améliorer, on va essayer de contenter tout le monde. Faire en sorte que nos propres solutions règlent les problèmes des autres. Mes ennemis du moment.

Très très négatif, je sais. Exténué. Envie d'être méchant.
C'est une phase de la post-production.
J'espère que ça ne va pas durer... Ce n'est pas bien.

17 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 3

Le bout du tunnel.
Vendredi prochain, troisième projection du film.
Les dix jours qui ont suivi la dernière projection ont été tendus, douloureux, angoissants. Nous devions nous remettre en cause, remettre en question la plupart de nos choix, comprendre pourquoi certaines scènes ne fonctionnaient pas et comment les modifier en conséquence.
Ce qui est certain c'est qu'il fallait aborder le film autrement, cesser de l'admirer, de le cajôler. Il fallait lui faire violence sans pour autant abandonner ce qui nous plaisait, ce qui pour nous faisait son âme.
Semaine intense, difficile. Nous faisions face à des énigmes et des impasses. Le film nous a résisté terriblement. La matière nous a nargué.
Il m'a été nécessaire de comprendre, de mieux analyser les raisons qui expliquent l'écart entre un scénario et un film. Pourquoi une scène qui fonctionne à la lecture ne fonctionne plus du tout une fois filmée et montée. En tenant évidemment compte de l'aveuglement, du manque de recul qui peut nous faire perdre confiance. Revenir au scénario a été un des mouvements alors même qu'il fallait dans le même temps accepter ce qui ne marchait pas et donc parfois réécrire le scénario.
Réécrire le scénario quand le filmage n'a pas été conçu pour ça. Faire dire autre chose à la scène contre le filmage lui-même, contre le jeu des acteurs, au prix d'un appauvrissement de la mise en scène.
Moments douloureux, stressants.
Il y a plusieurs raisons au décalage entre le script et le film pour une scène donnée.
D'abord il y a le ratage de mise en scène. Mauvais filmage, que ce soit par manque de temps ou par manque d'inspiration. On n'a pas la matière pour dire les choses au mieux. Alors on contourne, on triche, on cache la misère. Mauvaise direction d'acteur. Ils ont été si dociles, si ouverts ! Et je les ai parfois mené là où il ne fallait pas, manqué de leur dire ce qu'il fallait.
Les acteurs peuvent parfois être en-dessous de ce qu'on pouvait espérer. Alors on fait au mieux, on contourne, on arrange, on masque, on répare, on rustine.
Et puis il y a la différence fondamentale entre le rythme de la lecture et celui de la vision. On lit mal les scénarios. Il faudrait à chaque scène fermer les yeux et se projeter le film à venir. Ce qui a l'air de passer si bien devient une punition une fois filmé. Parce que ça va plus vite. Parce qu'on a devant soi la chose même qui défile concrètement. Parce qu'il faut subir le temps au lieu de l'imaginer.
La logique cinématographique n'est pas littéraire. La transposition dans l'espace cinématographique réserve de bonnes et de mauvaises surprises. Je pense depuis longtemps qu'un scénario est la description d'un film à venir. Il faut l'écrire puis le lire comme ça. Mais la lecture a sa propre logique. L'écriture s'appuie sur ses effets propres qui ne sont pas ceux du cinéma. Ne jamais l'oublier quand on écrit. Ne jamais l'oublier quand on lit.
C'est une phase du montage bien connue. Il ne faut pas le prendre personnellement. Elle est absolument inévitable. C'est aussi le moment où l'on ne voit plus ce qui est réussi, où cela va sans dire et donc on ne le dit plus et on ne vous parle plus de ce qui ne marche pas. Etape dépressive.
Mais quels bonheur quand enfin, à force de nuits blanches, de cogitation anxieuse, on trouve les solutions pour rendre le film à lui même par et malgré les images.
Il n'y avait pas de raison de douter. Le scénario était solide et apprécié. Les acteurs ont élevé leurs personnages au-dessus de ce qui était écrit. Ils leur ont donné corps, les ont rendu touchants, intéressants, forts, fascinants, beaux.
Alors il fallait être à la hauteur et travailler la matière jusqu'à ce qu'elle rende ce qu'elle avait de plus précieux. Il fallait refuser qu'elle fasse la loi, parfois en lui faisant violence, parfois en étant diplomate avec elle, d'autres fois en acceptant simplement ce qu'elle était et en faisant le deuil de ce qu'on aurait voulu qu'elle soit.
Le bout du tunnel oui. Aujourd'hui je souffle et je tremble encore de cette bataille.
Vendredi on en saura un peu plus. Je ne crains plus les mauvaises surprises. Je pense qu'à l'issue de cette projection on pourra se dire que tout ce qui se fera ensuite sera du plus et non du moins, servira à faire briller l'objet et non plus à le modeler ou le réparer.
Le film est là. Il a déposé les armes et il s'est rendu. Il ne restera plus qu'à lui ajouter les milles petites choses, les milles petits détails qui feront l'excellence de sa finition.
La phase de combat est terminée.
C'est ce que je pense aujourd'hui. Espérons que ça dure un peu. Rien n'est acquis.

10 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 2

C'est le moment le pire dans la fabrication du film.
Celui que je veux à chaque fois éviter. Et je n'y parviens jamais car c'est inévitable.
C'est le moment où il n'y a plus de surprise, plus d'excitation. Fini le plaisir de découvrir les scènes qu'on a écrites jouées par des acteurs qui leur donnent corps, fini l'émotion de découvrir son propre film par la magie du montage qui lui donne le souffle de vie, fini le frisson d'être le capitaine du navire, seul aux commandes.
C'est le moment de dépossession. Celui où l'industrie commence à vouloir reprendre ses droits. C'est le début d'un combat âpre où il faudrait être sûr de soi alors que c'est impossible. Celui où les coups de l'adversaire portent à chaque fois et à chaque fois il faut recoudre la blessure.
C'est le moment où le film a son autonomie, sa logique propre au nom de laquelle chacun s'estime en droit d'y poser la main. C'est un corps offert que chacun palpe, tâte et voudrait transformer.
C'est le moment où l'on dit à l'auteur : tu n'es pas seul, notre avis compte. Le moment du douloureux débat intérieur pour savoir si ce que dit l'autre est pertinent ou seulement l'expression de son angoisse et de sa névrose.
C'est le moment où le fait de ne pas savoir ce qu'on a fait joue contre vous car vous êtes ainsi vulnérable face à toutes les tentatives d'intimidation qui se présentent sous le masque des avis, conseils et recommandations.
C'est le moment où l'on commence à vous menacer implicitement. Celui où vous devez faire entrer le film dans une machine qui est celle de l'industrie et du commerce, cette même machine qui a rendu votre film possible et qui maintenant réclame ses droits.
C'est le moment où les sirènes se mettent à chanter, le moment où vous devez vous attacher au mât afin de ne pas succomber.

Moment pénible où vous devez défendre votre propre matière sans savoir si votre cause est bonne.
Car évidemment les autres agissent pour votre bien. C'est difficile de refuser qu'on veuille vous faire du bien...
C'est le moment où chacun profite de votre fragilité pour prendre le pouvoir. Le moment où le film n'est pas terminé et où chacun voudrait le terminer à votre place. Le moment où la machine veut que vous deveniez son enfant, vous-même une petite machine à qui elle peut donner des instructions.
Ce moment terrible où étant incapable de discerner vos propres convictions, vous êtes enclin à  suivre celles des autres.
Et ils en ont tous. Ils savent. Ils savent mieux que vous.
J'ai eu ça sur Les Patriotes. En pire même. J'ai eu ça sur tous les autres films. Et à chaque fois c'est une torture.
Il faut alors être fort et assumer sa propre faiblesse.
Il faut accepter d'être nu sur le champ de bataille mais refuser toutes les protections. Et on vous dit que les obus vont pleuvoir, que la tempête va se lever, et on vous propose une armure, un tank ou n'importe quoi d'autre qui parait-il vous épargnera la souffrance. Et vous devez refuser cette offre parce que sinon tout ce que vous avez entrepris n'a plus de sens.

J'ai perdu l'âme de Möbius dans ce sens que je ne sais plus où elle est. C'est normal. Ce film, c'est moi et ce n'est plus moi.
Mais je ne laisserai personne m'imposer une âme de remplacement, c'est à dire une âme artificielle.

C'est le moment où l'on doit se battre contre les amis, les collègues, les partenaires. Tous ceux qui vous veulent du bien et qui vous disent : repose toi maintenant, on prend les choses en main, tu as bien travaillé mais tu ne sais plus ce que tu fais, nous, on sait. On doit se battre dans la fumée, sans rien voir, rien entendre, sans même savoir si on n'est pas à deux doigts du précipice.

Möbius raconte cela à sa manière. Cet amour épais qui s'insinue dans la machine de l'espionnage, en vient remplir tous les interstices, gripper tous les mécanismes. Un combat entre la chair palpitante et la structure froide de la manipulation. Un combat entre le fluide charnel et la mécanique du pouvoir. Et comme dans Möbius, l'issue du combat est incertaine. La machine a des armes effroyables, celles de la distorsion, de l'illusion, de la tentation, celle de la masse contre l'individu, de la structure contre l'élément. Elle peut gagner. Elle peut aussi perdre. C'est au fond ce que raconte Möbius.

05 octobre 2012

Möbius journal de Post Prod

Lundi prochain nous nous projetons le film sur grand écran.
C'est la seconde projection. La première a eu lieu il y a quatre semaines en présence des producteurs et du compositeur Jonathan Morali (de Syd Matters).
Cette dernière projection nous avait permis de découvrir sur grand écran le premier montage du film dans son intégralité.
La vision sur grand écran est indispensable car de nouvelles informations apparaissent dans les images et changent la perception du rythme par rapport au petit écran du montage.
Nous avons depuis repris chaque séquence, chaque plan, et apporté toutes les modifications dont la nécessité est apparue lors de la projection. Nous avons également mis sous le feu de notre critique chaque choix de plan, cherché dans les doubles de meilleures prises, voire dans les "non U" (les prises non utilisées, celles qui n'avaient pas été à priori choisies pour constituer la listes des prises à monter). Nous avons re-travaillé chaque mouvement du film.
Et donc lundi nous nous projetons le résultat de ce travail.
A cette projection assisteront tous ceux qui doivent intervenir dans la post-production, quand le montage image sera déclaré terminé ; monteurs son, monteur parole, mixeur, chef opérateur (qui devra s'occuper de l'étalonnage), compositeur, responsables de la post production et des effets spéciaux. Il y aura aussi de nouveau les producteurs et enfin JD qui découvrira le film pour la première fois.
A ce stade, le film est loin d'être fini. Les fonds verts n'ont pas été remplacés par les "pelures", les Fx , quand ils sont faits, sont seulement "maquétés", il n'y a pas de montage son, et la musique (synchros (morceaux achetés) et scores (musique originale)) n'est ni définitive ni complète.
Mais enfin le film est là, avec son rythme, ses mouvements et les émotions qui s'en dégagent.
Et avec le sens qui apparaît aussi, son style, son identité.

Quel est ce sens ? Que est le style ? Qu'est-ce que ce film ?
Des questions auxquelles j'aimerais bien répondre mais dont je ne peux avoir qu'une vague idée, et encore, incertaine et probablement fausse.
Cette projection sert à me faire une opinion du film. Je sais que je ne le verrai pas. Je pense d'ailleurs que c'est une erreur de le montrer à ce stade aux autres. C'est alors le montrer pour les autres. Alors que je dois d'abord savoir ce que moi j'en pense afin de savoir ce que je peux encore y apporter.
Je ne le verrai pas et c'est un peu un drame. Je ne peux plus être spectateur de mon film. Je l'ai été, quand j'ai découvert les premiers montages. J'ai pu alors naître au film. Mais c'est fini.
Je vais m'efforcer d'oublier les autres à qui je le montre, m'extraire de ce qu'ils peuvent en penser parce qu'à ce stade, ce n'est pas encore utile. J'estime être le mieux placé pour en penser quoi que ce soit.
Mais la présence des autres va évidemment distordre ma propre vision.
Je pourrais refuser de partager cette projection et nous la réserver, à moi et à la monteuse, Pascale Fenouillet. Mais il faut que chacun sache sur quel film il va travailler, et en mesure le niveau d'exigence.
Je devrai donc faire un effort pour ne pas encore être dans cet état de "donner" le film à voir. J'espère que c'est possible.

L'histoire d'amour (donc l'histoire principale du film) fonctionne. Les personnages sont attachants, leur relation est émouvante. On aime leur amour et c'est le principal. On a donc peur pour cette relation et on est solidaire du jeu secret et dangereux qu'elle fait jouer aux personnages.
Nous avons je crois sauvé la scène de la bagarre dans l'ascenseur qui était mal barrée au tournage. Sauvé, c'est à dire que je pense que c'est une belle scène. Elle ne ressemble pas obligatoirement à ce que je voulais mais ce n'est pas grave. Je ne voulais pas la découper, j'ai été contraint de le faire.
La fameuse scène "Heat", où j'affirmais sans trop exagérer que j'étais le seul à comprendre ce qu'on faisait est aujourd'hui la scène que j'estime être la plus forte du film. Parce qu'elle n'est pas nécessaire à l'intrigue. Elle survient par surprise et elle est très émouvante. Et je ne cesses pas d'adorer les scènes entre JD et CdF. J'ai ce petit sourire niais quand je les vois. C'est bon signe je crois.

Il faut quand même se méfier de ses propres impressions. Se méfier au sens où elles ne présagent rien de ce que les autres vont percevoir.
J'ai été heureux de lire une réaction sur Twitter quand une bande annonce est passée au congrès des exploitants, réaction qui retrouvait "Les patriotes" dans ce qui avait été montré. Oui c'est l'ambition. Ce n'est pas le même sujet, ni le même thème. c'est le même projet cinématographique.
Et moi j'y retrouve quelque chose d'Un monde Sans Pitié. Je m'en expliquerai plus tard.
J'espère ne pas être trop déprimé à l'issue de la projection... Je ne suis pas à l'abris d'une mauvaise projection comme on dit. Je verrais tout en noir, trouverais tout raté. Mais je suis quand même confiant.