26 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 5

Le film est né.
A l'issue d'une semaine ignoble où la fureur s'est mêlée au désespoir.
Insomnies, cauchemars, notes prises en pleine nuit, pensées torturées sous la douche. Le film a hanté notre vie. Il nous faisait mal.
Colères, doutes profonds, révolte. Il a fallu néanmoins avancer, malgré la tempête, avancer, mettre nos pas dans les traces que l'on entrevoyait dans le brouillard.
Ecoute flottante, incompréhension, illumination.
Rien de pire que d'essayer de dire quelque chose à quelqu'un quand le message ne passe pas.
On veut d'abord le faire passer à coups de massue, on hait celui qui résiste, mais ça ne passe pas.
On cherche alors en soi les ressources pour modifier la stratégie. On analyse, on décortique et on laisse aussi, encore, l'imagination faire son travail. On imagine de nouveau son film, on se le projette autrement, on en ré-écrit les noeuds dans sa tête.
C'est une horreur. Toujours la même à ce stade du montage. Sur tous mes films. Celui-là peut-être encore plus violemment parce qu'il est important, parce qu'il promet plus grand.
Une séquence supprimée (laquelle ? La bonne), une autre scindée en deux, inversées et déplacée. Un plan qui saute, un autre dont on change la prise (lequel ? C'est celui-là qui fait noeud ? Non, celui-ci, non l'autre encore).
Comment se fait-il qu'un bon scénario ne se retrouve pas ensuite tout simplement ?
Parce que si le scénario doit être la description du film à venir, on ne le décrit jamais parfaitement. Le film s'écrit aussi au tournage puis au montage. Et à la fin, on a un autre film. Obligatoirement. Sinon, j'aurais cette incroyable faculté d'imaginer mon film plan par plan, d'anticiper au détail de regard près le jeu des acteurs, de préjuger parfaitement de l'impact d'une position de caméra, de prévoir sans erreur l'émotion créée par la juxtaposition, dans le bon ordre, de deux plans.
Non, malheureusement, et heureusement le film s'écrit tout au long de sa fabrication, jusqu'à la fin du montage.
Après, il se peaufine.
Et effectivement la lutte est acharnée contre la dépréciation de l'écriture. A chaque étape il faut se battre. A chaque étape il faut monter une marche. A chaque étape on peut dégringoler de l'escalier.

Le film est né.
Pour la première fois j'ai eu les sentiment que dans les moindres détails, la plus fine intention narrative et dramatique, le message est passé. Le film m'a été restitué. La ré-écriture, comme un travail de traduction, de transposition dans une autre réalité, a rendu les intentions de départ du scénario.
Moment éprouvant.
Bien sûr il y a encore des choses à faire, couper par-ci, rajouter par là, changer telle phrase, tel plan.
Mais là, il s'agit de parfaire, seulement parfaire.

Le travail sur la musique a été ces derniers temps une oasis dans cette douleur. Le dialogue avec le compositeur est essentiel et profond. C'est la seule personne avec qui on est obligé de justifier, d'expliquer le sens profond de chaque scène. Et une nouvelle musique livrée permet toujours à une séquence de renaître. De lui redonner ou d'amplifier son sens ou même de lui offrir un nouveau sens. On re-découvre son film avec la musique. Chaque morceau livré, même en maquette permet d'avoir le recul qui manque si cruellement.

C'est encore long jusqu'a la livraison. Montage son, post-synchro, bruitages, mixage, étalonnage, doublage pour la version française. Pour parfaire, enrober, faire encore mieux. On peut encore tout gâcher, bien sûr. Il ne faut pas faire d'erreur, et saisir toutes les opportunités de rendre l'émotion encore plus forte. Ne rien écraser, ne pas se tromper sur le dosage ou la nature d'un son, d'une couleur.
Mais pour la première fois j'ai le sentiment d'avoir gagné la guerre menée contre moi-même.
Pourvu que ça dure... un peu.

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