29 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 15


Je me trouve dans une sorte de salon attenant au grand auditorium de  mixage. A travers une sorte de hublot j’aperçois l’écran. Je peux voir où on en est. Je préfère ne pas assister à toutes les étapes du mixage d’une séquence afin de garder l’oreille fraîche quand il s’agit de l’écouter et vérifier si tout est bien en place. On vient me chercher quand la séquence est prête ou pour me poser une question.
Je m’installe alors près du mixeur. J’écoute la séquence. Et j’écoute mes impressions. J’essaie d’évaluer ce que le son apporte à la signification et à l’émotion de la scène.
J’indique les modifications éventuelles à apporter. Mes remarques sont parfois très subjectives. Tel son que j’aimais n’est pas assez fort, tel autre prend trop de place. Cette subjectivité dans le travail du son, c’est ce qu’on pourrait appeler une histoire de style.
Parfois mes remarques sont plus motivées.
Il y a quelques jours nous mixions une séquence de tension qui se termine dans le massif de l’Esterel.
En haut, alors que l’on voit la plaine et la mer, quelque chose me dérange dans l’ambiance sonore. Je ne sais pas vraiment quoi mais je ne ressens pas l’impression que j’espérais à me retrouver sur le sommet. L’image le dit bien sûr mais pas le son.
Puis je comprends : il y a trop d’oiseaux. On entend trop d’oiseaux et du coup on a plutôt le sentiment d’être dans une forêt.
Je propose d’enlever quelques pistes de chants d’oiseaux (il y en a plusieurs). On fait des essais. On retire cette piste-ci puis celle-là. Et enfin on se retrouve vraiment à la montagne. Le vent, la rumeur au loin, des insectes et quelques oiseaux seulement. Le résultat est net. Le son appuie alors l’image, la renforce. Il n’est pas contradictoire. On est à l’air libre et le sentiment d’apaisement, de quiétude encore lourde de la tension que l’on vient de vivre est palpable.
Il s’agit d’une nuance. Il s’agit d’un millimètre sur un chemin de plusieurs kilomètres. Mais il compte, là, sur cette séquence.
Le mixage, c'est mille occasions comme celle-là.
Je me déplace ensuite pour aller à la salle d’étalonnage. Là on me montre un morceau du film qui vient d’être travaillé. Je suis de nouveau à l’écoute de mes sensations. Mais il s’agit alors de juger la couleur, la densité, le contraste de l’image. Ce visage n’est-il pas trop jaune, rouge ? Ici, la clarté dérange, là, la densité parasite. Et puis ne faut-il pas jouer ici une image froide pour mieux mettre en valeur la prochaine séquence qui sera plus chaude, plus sensuelle ? Il s’agit là encore de style et de signifiance.

Les enjeux de création sont ici minimes comparés à la situation de tournage ou de montage. L’angoisse s’est déplacée. Il faut rester concentré car on peut rater une occasion. Je suis comme un gardien de but lors d’un match de football où mon équipe n’est pas trop inquiétée. Je suis peu sollicité. Mais à la faveur d’une contre-attaque je peux prendre un but pour quelques secondes d’inattention.

L’angoisse de la fabrication du film s’éloigne. Les enjeux sont maintenant minimes. Mais une autre angoisse se lève lentement. C’est encore un tout petit point qui va grossir de plus en plus.
Tout ce travail, toute cette énergie, cette tentative insensée de maîtriser des forces disparates et continuellement en action, cette année de fabrication, ces cinq ans d’écriture, tout cela peut être effacé, jeté à la poubelle et condamné à l’oubli en quelques minutes. Le jour de la sortie du film à 14h.
Les premiers chiffres sont rarement démentis. Ils peuvent l’être et ça tient alors du miracle. Mais ce jour-là, quand les premiers chiffres de fréquentation tombent, le film peut avoir une vie ou mourir à l’instant. C’est alors la montagne de tension et de travail qui est balayée, rendue vaine en un claquement de doigt.
Cette angoisse, il est trop tôt pour la vivre. Mais l’angoisse de création s’éloignant, elle laisse la place sournoisement à cette autre angoisse de disparaître dans le néant.
Ce n’est pas le destin commercial qui est en jeu à ce moment là. Pas directement pour moi tout du moins. C’est juste la raison d’être de tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant. C’est juste l’existence objective du résultat.
Le film peut mourir dans les minutes où il naît au public.

J’en reparlerai bien sûr. En attendant il y a cette tension, cette concentration permanente que je vais devoir garder pour ce qui suit : fin du mixage, établissement des sous-titres, supervision du doublage pour la version française. Encore des occasions à ne pas rater.

Chaque jours qui passe, le réel s’approche et avec lui ce truc terrible qui vous métamorphose en feuille de papier que l’on chiffonne et qu’on jette dans la corbeille.
Mais ce n’est pas maintenant. Pas maintenant encore. N’y pensons pas. Restons concentré.
Je comprends ceux qui veulent faire exister leur film le plus longtemps possible avant la sortie. Tournée province, multiplication des avant-premières, festivals… Ah les festivals ! Ça retarde l’échafaud. On a le sentiment que le film peut vivre. Il vit.
Il n’en reste pas moins que viendra le jour où… Hop ! A la poubelle. Ce truc n’est rien, rien de rien. On passe à autre chose.

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