17 mars 2013

Möbius Séquence par Séquence 6


Séquence 6
Convaincre les acteurs

Le tournage de la séquence 6 a été le théâtre d'un "coup de chaud" soit un moment de tension ou de flottement qui fait perdre un temps précieux. 
Non seulement il faut gérer une petite crise mais surtout il faut la gérer le plus rapidement possible car elle grignote sur le temps de tournage. 
L'enjeu de ce genre d'épisode est donc tout simplement le filmage qui se simplifie au fur et à mesure que la crise se développe. 
A la fin, la crise peut être résolue mais la scène foutue parce qu'on n'a plus le temps de la tourner  correctement.



Ordre du scénario : 
1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 
Ordre du montage : 
2 - 5 -  3 - 4 - 6
Voici la séquence 6 dans le script (en jaune ce qui a été coupé au montage) : 




Voilà, quand je suis arrivé sur le plateau, je savais que j'allais placer ainsi les acteurs : Dimitri Nazarov dans une pièce et JD dans l'autre.
Ils ont été immédiatement déstabilisés par cette disposition. Ils pensaient tous les deux qu'ils allaient être placés autour de la même table et ainsi pouvoir avoir cette conversation un peu plus privée en étant proche l'un de l'autre.
Dans dette capture d'écran le fond vert n'a pas encore été remplacé par Monaco de nuit.
JD était gêné de devoir parler fort alors que la conversation demande plus d'intimité.
A gauche : une "rochance", c'est à dire une amorce indéterminée et donc non signifiante.
Il s'agit d'une amorce floue  esthétique qui crée un certain relief dans l'image.

J'ai du le convaincre qu'il n'était absolument pas nécessaire de porter la voix. Il a fait plusieurs essais et finalement s'est rangé à cette étonnante situation : parler à quelqu'un qui est plutôt éloigné sans porter sa voix. Il faut dire que c'est la nuit et que l'appartement est silencieux.

Les acteurs viennent souvent avec une idée de la scène en tête, surtout si on n'en a pas parlé avant. Il n'est pas toujours facile de leur faire changer d'idée car ils ont préparé la scène ainsi. Cela demande quelque fois du temps pour qu'ils révisent leurs catégories. C'est pourquoi, souvent, quand j'avais le temps et quand ils étaient disponibles, je proposais à JD et CdF de tester la veille au soir, le dispositif des scène à tourner le lendemain : se sentaient-ils à l'aise avec ça ? Voulaient-ils autre chose ? Je leur expliquais évidemment les raisons de mes décisions mais on avait alors le temps d'amender les choses.
Quand je ne suis pas convaincu par la suggestion d'un comédien, je lui explique pourquoi, je défends ma proposition.
Nous n'avons pas les mêmes perspectives. Moi, je dois signifier. Lui il doit incarner. Et quelques fois mon objectif rend le sien impossible. On doit faire alors quelques pas l'un vers les autre.

Pourquoi ais-je insisté pour que les acteurs soient ainsi disposés ? 
D'abord parce que deux acteurs assis autour d'une table en train de travailler, je trouve ça trivial (ce qui n'est pas toujours un défaut) et impropre à un filmage intéressant.
Ensuite parce qu'effectivement je voulais utiliser le décor dans sa profondeur. Je devais me servir de l'espace afin d'exploiter au mieux la longue focale (qui renforce la présence des personnages en les détachant du décor).
Enfin, la question se pose toujours à propos de la familiarité, la proximité, l'amitié entre deux personnages.
Deux personnages se disent des choses : comment montrer qu'ils sont amis ou du moins proches ?
Observez vos amis quand ils se parlent et demandez vous ce qui, visuellement, sans tenir compte de ce qu'ils disent, révèle leur proximité.
Becker, dans "Rue de l'Estrapade" avait eu cette idée géniale (c'est peut-être un des comédiens qui a eu cette idée d'ailleurs) : alors que les deux amis se parlent (de filles je crois), l'un pique le paquet de cigarette dans la poche poitrine de la chemise de l'autre, se prend une clope, se l'allume puis remet le paquet dans la poche de son ami sans que la conversation ait été interrompue, sans que le geste ait été remarqué par l'un ou par l'autre.
Ainsi, grâce à la mise en scène, ils n'avaient rien besoin de se dire, on savait qu'ils étaient amis. Je garde cette idée de mise en scène en tête. C'est systématique.
Il faut observer les gens dans la vie afin, au moment du tournage, d'avoir de bonnes idées pour que la vie rentre dans le film.
Cette idée de mise en scène consistait simplement à laisser JD caché par la paroi en verre dépoli quand à la fin de la séquence il regarde de nouveau la photo d'Alice.

Caché de notre regard, on voyait juste ses mains relever légèrement la photo. On comprenait ainsi qu'il y jette un dernier coup d'oeil "en douce". Ça me semblait bien plus fort que de le voir bêtement le faire.
Souvent la trace de la chose est plus forte que la chose même. Nous reviendrons sur cette notion. On y revient toujours.
J'était fier de cette pauvre idée...
... qui a été coupée au montage parce qu'en fin de compte, nous ne voulions pas trop "prédestiner" le personnage à tomber amoureux d'Alice. Si déjà il restait pensif sur une de ses photos, le coup de foudre n'avait aucun intérêt et lui, comme officier du renseignement, se révélait quand même être un peu léger.
Oui une simple impression. Cette scène n'est vraiment pas la plus mal filmée du film. C'est juste qu'il s'agit d'une scène un peu informative. Elle ne pouvait pas être très "inspirante".
Se souvenir d'une règle pour le prochain film, une sorte de règle d'or :

Si on doit faire passer une information au spectateur à travers ce que dit un personnage : il est impératif, obligatoire, que le personnage ait une bonne raison de dire ce qu'il a à dire. Une bonne raison de le dire à son interlocuteur. Que ce soit réaliste qu'il le dise et qu'il le dise ainsi.
Ça paraît trivial ? Cette règle n'est appliquée que dans 7% des films français (des films à intrigue préciserons nous).
En général, les personnages font passer des informations au spectateur en disant vraiment n'importe quoi à leur interlocuteur.
D'ailleurs dans ces cas là, l'interlocuteur serait vraiment en droit de demander, par exemple : "Pourquoi tu me dis où on va en entrant dans l'aéroport ? Tu n'imagines quand même pas que je ne le savais pas avant, si ?" Oui dans la vie, on sait quand même où on va un peu à l'avance, et non pas, pour des raisons de montage, juste au moment de partir.
Dans ces cas là, le personnage qui donne l'information devrait plutôt se tourner vers la caméra et dire ce qu'il a à dire directement au spectateur, ça serait plus simple.

Donc : se souvenir de cette règle.
Je la connais cette règle, je l'applique le plus souvent possible. Je serais prêt à me battre physiquement pour l'imposer.
Mais parfois, on ne sait pas comment l'appliquer, c'est indémerdable. Alors on flanche, on transige. Un peu comme fumer une petite cigarette en douce quand on a arrêté.

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