24 mars 2013

Möbius Séquence par Séquence 7

Séquences 7-13
Le repérage du désir


La scène du sauna a été difficile à articuler avec celle de la répétition (seq 3) : quel était le vrai enjeu de la scène ? Son véritable intérêt ?
D'où il est parfois compliqué de dégager clairement ce qui justifie une séquence. C'est pourtant essentiel non seulement pour la mettre en scène, mais aussi pour la monter, en définir la durée et le contenu.
Parfois ça se fait tout seul. Parfois c'est beaucoup plus dur.
Dès qu'une séquence est écrite et intégrée dans une continuité, elle vous échappe, c'est un furet. Comme le désir auquel elle doit répondre. On peut mettre longtemps pour la retrouver et quelque fois on la perd à jamais.


Voici le texte du scénario. Les passages en jaune ont été coupés au montage.






Quand je vois le look de CdF sur cette photo... je me souviens que j'avais parfois l'impression
de travailler avec une nouvelle actrice française qu'on n'avait encore jamais vue.


Oui le décor m'a piégé. Il s'agissait d'un décor très formel, sans aspérité : murs nus, pas d'amorce, pas d'objet derrière lequel se cacher. Le genre de truc qui me glace. Pas d'humanité en fait. Un décor à la Kubrick, toute proportion gardée. Et je ne m'y attendais pas. C'est un peu comme si j'avais à filmer deux personnages qui se parlent, point. Aucune possibilité de rajouter quelque chose. J'affrontais le littéral. Aucune possibilité d'échapper à la scène et au dialogue, rien de plus que la scène. 
Le fait même de situer la scène dans un sauna ne favorisait pas les échappatoires.
Il fallait donc assumer cette "nudité" si je puis dire, nudité de la situation et du décor. Ravaler ma frustration de ne pas trouver des chemins de traverses et affronter la scène directement.
C'était une bonne scène pour affirmer la première facette d'Alice : la trader impitoyable, odieuse, supérieure. Moïse l'avait joué comme ça pour entraîner Sandra et à raison  : Alice se comporte comme prévu au point que le première partie de la scène est presqu'une "seconde prise" de la séquence de répétition. 
C'est à ce moment qu'intervient la difficulté de montage. Comment apprécier le fait qu'on assiste à la scène de recrutement en vrai après en avoir vécu la répétition sans patauger dans la redondance ? L'intérêt de la scène est justement dans la redondance. Il y a là un paradoxe qu'il fallait traiter d'autant plus qu'une seconde difficulté venait s'ajouter à la première : où était finalement le véritable intérêt de la scène ? Pour cela il ne suffisait pas d'analyser sa fonction narrative. 

Doser la redondance était une chose, comprendre quel était le véritable intérêt de la scène en était une autre.
Quand on écrit un scénario, une séquence en particulier, on sait ce qu'on a voulu y mettre (on sait moins ce qu'on y a mis réellement). On sait ce qui nous plaît dans la scène et ce qui nous plaît moins. On sait là où on aura du plaisir à la voir si la scène est réalisée selon notre vision.
Ce qu'on sait moins c'est où se situe le véritable intérêt de la scène. On peut compenser cette ignorance en analysant froidement la fonction narrative de la séquence : que fait-elle avancer ? Quelles nouvelles informations apporte-t-elle ? Où est-elle étonnante ? Que dit-elle du personnage ?
Mais cette analyse est insuffisante. Il faut se poser la question du point de vue.
De quel point de vue se place-t-on ici ? Alice ? Sandra ? Moïse ?
Il est difficile de se situer du point de vue d'Alice ici puisque la scène de répétition a déjà créé le désir de voir la scène en vrai. On est donc déjà du point de vue de l'équipe. Mais lequel ? Sandra ou Moïse ? Sandra qui a galéré pendant la répétition, que Moïse a engueulée ? Autrement dit le désir suscité par la séquence de répétition pèse-il sur Sandra ? La question est-elle bien : Sandra va-t-elle y arriver ?
On pourrait le croire.
Mais il ne s'agit pas seulement de Sandra. Sandra est envoyée par Moïse qui écoute la conversation. Il y a un autre enjeu : va-t-on parvenir à recruter Alice ? Va-t-elle accepter ?
La première question est donc un peu décalée : si Sandra fait une erreur, sur qui cela va-t-il peser ? Sandra elle-même ? (elle va se faire encore plus engueuler) ou Moïse (qui est le responsable) ?
Et pour répondre à cette question, donc pour savoir quelle durée doit faire la scène, quels dialogues on garde, comment et quand passer à l'extérieur sur Moïse qui écoute, sur quelle réplique passer sur Moïse, pour savoir tout ça, on doit analyser quelle sorte de désir on a suscité avant même d'entrer dans le sauna. 
Quand on voit Alice allongée dans le sauna avec son mouchoir sur le visage (c'est l'élément signifiant qui dit immédiatement : c'est bien cette fille que Moïse jouait dans la scène de répétition) on comprend qu'il s'agit du recrutement qui a été répété. On active alors le désir suscité par la séquence 3. Mais quel est ce désir ? Qu'a-t-on envie de trouver ? A quoi a-t-on envie d'assister ?
Il ne s'agit pas alors obligatoirement de répondre à ce désir. Il faut le connaître pour jouer avec, le satisfaire ou le frustrer.
C'est parce qu'il a été difficile de repérer ce désir que la scène a mis du temps à trouver sa longueur et son montage, en particulier les moments où on sortait du sauna pour passer sur Moïse qui écoute. 

Comment peut-on ignorer le désir auquel doit répondre une scène ? Parce que le film n'est pas le scénario et le désir créé par le montage n'est plus le même que celui créé à l'écriture. Les images, l'incarnation, le jeu, l'humain qui est entré dans la danse viennent diffracter le rayon. On perd la notion de ce désir (si on l'a jamais maîtrisé à l'écriture ce qui n'est pas non plus évident) et on peut tourner en rond à essayer de le retrouver.







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