15 janvier 2013

Möbius Journal de Post Prod 16


Cette semaine est la dernière de la Post-Production. Nous achevons le mixage de la version française à Bruxelles pendant que les dernières retouches à l’étalonnage se font à Paris sous la supervision du directeur de la photographie, Pierre Novion.
Je reçois encore les fichiers QuickTime des dernières versions de quelques plans de trucage qu’il reste à finaliser. Je n’ai pas encore vu le déroulant du générique de fin mais ça ne saurait tarder.
Le film s’achève donc et avec lui les derniers soubresauts créatifs qui sont de l’ordre du millimètre. La version française a été pour moi un combat pour minimiser la déperdition par rapport à la version originale.
Une petite partie de la presse a déjà vu le film et les réactions qu’on me rapporte semblent positives.  J’évite encore d’y penser et de trop y croire.

Nous sommes réellement à cheval entre la fabrication et la commercialisation. Une phase se termine quand l’autre est déjà commencée. Je m’accroche encore à ce film qui déjà m’échappe alors qu’on le livre au regard des autres, des professionnels, des critiques, de ceux qui l’attendent ou qui n’en ont jamais entendu parler. J’ai l’impression d’être une sorte de parasite agrippé à une pellicule qu’on est en train de secouer afin que je lâche prise. Je n’ai pas fini bordel !
Mais en fait c’est terminé, livré, emballé. Il ne manque plus que la mise en rayon.

Je ne suis pas de ceux qui opposent l’art à l’industrie. Je ne me sens ni sali ni agressé par le fait qu’un film doit être commercialisé. C’est juste étrange quand les phases se chevauchent. J’ai même déjà donné quelques interviews entre deux enregistrements pour la VF !
Un parasite qui s’accroche. Le film n’est plus le mien. Il n’est plus à moi.
Je vis avec depuis si longtemps maintenant que j’ai peur qu’il me quitte. Non que j’appréhende la façon dont il va être reçu. J’ai juste peur du vide.
Dans ce cas il faut avoir d’autres choses dans la tête, être déjà tendu vers un des ces autres projets qui ne se réalisera – dans le meilleur des cas – que dans deux ans !

C’est très étrange de terminer sur cette VF. Je vois et revois le film encore mille fois par jour mais pas dans la langue dans lequel je l’ai tourné ! Avec d’autres voix ! Heureusement que CdF se double elle-même. Je reste un peu en famille. Heureusement aussi qu’on ne touche pas au russe de JD. Mais enfin, tous les autres acteurs américains qui me parlent en français ! Le film s’éloigne. Il me glisse entre les doigts. Il n’est déjà plus là, plus lui-même.

J’ai hâte d’assister aux projections publique. J’ai hâte de sentir la salle. J’ai hâte de voir si (que) le film fait l’effet attendu. Evidemment j’espère ne pas tomber de haut. J’espère que les spectateurs vont être aussi émus que je le voudrais. J’ai travaillé à ça, travaillé pour ça. Les premiers retours me confortent un peu. C’est pourquoi j’ai hâte de donner ce film et d’assister à la réception. Au moins quelques fois, pour que ça fasse un peu sens de l’avoir fait. Ensuite, il partira pour de bon. Je vais l’accompagner un tout petit peu encore. J’y ai droit...
Je vais le montrer à l’équipe, je vais le montrer à ma famille, à mes amis, je vais le montrer à mes collègues. Je vais le montrer aux professionnels. Toutes ces projections auront quelque chose de tendu. Elles seront j’espère agréables. J’en ai connu des terribles. Même pour Un Monde sans Pitié. Je me souviens quand je l’ai montré à mes copains. C’était une catastrophe. Tout le monde s’est senti balancé !

Une bonne projection ? Des gens qui ne me connaissent ni d’Eve ni d’Adam, qui se foutent de savoir qui je suis et pourquoi j’ai fait ce film, qui vont le recevoir avec l’innocence et la cruauté de spectateurs anonymes. C’est ceux-là dont je veux palper les réactions quand l’écran sera immense, rempli des images que j’ai tournées il y a huit mois. Je n’y verrai pas une vérité sur le film. Il n’y en a pas. Du moins pas d’aussi simple. Mais il y aura une réalité. Celle d’une transmission. Une transmission qui ne sera pas biaisée. Une bête transmission, simple, qui peut être douloureuse ou très émouvante. S’ils pleurent, ceux-là… je pleurerai avec eux. C’est certain.
Oui j’ai hâte. Et ça va venir trop vite. Et ça sera fini trop tôt.