23 février 2013

Möbius Séquence Par Séquence 3

Présentation de Moïse
Séquence 3

La séquence de présentation de Moïse a été une des plus laborieuses à monter et a fait l'objet, elle aussi, de nombreuses retouches, hésitations, revirements. L'arbitrage entre le rythme et l'efficacité d'une part et les informations à fournir de l'autre a été délicat. Le ver était dans l'écriture, comme d'habitude.





Voici le texte de la séquence avec, en jaune, les parties coupées au montage.
INT. planque moise monaco - JOUR
Un homme est allongé sur un canapé de cuir noir dans le coin salon d'un bureau, clair et spacieux, dont les fenêtres donnent sur Monte-Carlo.
Un mouchoir à carreaux bleus et rouges repose sur le visage de l'homme, peut-être pour le protéger de la lumière pendant sa sieste.
Une femme pénètre dans le bureau. Délicatement, elle ferme la porte. Elle vient s'asseoir dans un fauteuil, face au canapé.
SANDRA
Bonsoir...
L'homme redresse légèrement la tête. Il retire le mouchoir qui lui cache le visage. C'est un homme d'environ 40 ans. Les cheveux trop blancs pour son âge, la barbe de quelques jours, les traits creusés mais l'oeil vif. Il lance un regard inamical vers la femme.
MOISE
Bonsoir.
Il se replace le mouchoir sur le visage. Il reprend sa position.
Amorce du personnage de Sandra en longue focale, les joies du studio
La femme attend un moment puis se lance :
SANDRA
C'est agréable à cette heure, il n'y a personne...
L'homme hoche la tête sous son mouchoir. Visiblement, il ne désire pas être dérangé.
SANDRA (Suite) (CONT'D)
D'après vous, l'Euribor 10 ans va remonter?
L'homme "arrache" littéralement le mouchoir de son visage.
MOISE
Pardon?

SANDRA
Je vous demande : D'après vous, l'Euribor 10 ans va remonter?
L'homme s'assoit à présent.
MOISE
Pourquoi vous me demandez ça ?
SANDRA
Je suis un peu longue sur l'Euribor dix ans...
MOISE
Et pourquoi je saurais de quoi vous parlez ?
SANDRA
Une intuition...
L'homme étudie la jeune femme d'un air surpris. Elle le regarde, naturelle, sereine. Elle a trente ans, un visage épanoui.
MOISE
Une intuition? C'est tout ce que t'as trouvé? Si tu attaques comme ça - pourquoi pas? - C'est pas pour traîner. Tu sais qui il est, tu lui fait savoir, tu continues direct, tu temporises pas.
La jeune femme acquiesce.
SANDRA
Ok.
MOISE
On reprend...
(il se remet dans la peau de son personnage)
Pourquoi je saurais de quoi vous parlez ?
SANDRA
Vous travaillez à la RBI, non?
MOISE
Oui, on se connaît?
SANDRA
Moi, je vous connais...
MOISE
Ah bon? Vous travaillez à la RBI aussi?
SANDRA
Non...
L'homme s'emporte.
MOISE
A quoi ça sert de faire tous ces mystères?
SANDRA
J'y vais mollo...
MOISE
Pourquoi?
SANDRA
Pour ne pas le brusquer ou l'effrayer...
MOISE
Tu plaisantes? T'es déjà effrayante!  "Moi je vous connais", "Non je travaille pas à la RBI"... Attaque! Il fait 50¡ là-dedans! Je reprends : On se connaît?
La jeune femme retrouve son calme rapidement.
SANDRA
Je travaille pour la section des enquêtes financières de la police monégasque... Là, je lui montre ma carte. Je ne l'ai pas encore mais je la reçois cet après midi par...
MOISE fait signe d'enchaîner.
SANDRA (Suite) (CONT'D)
Vous savez à qui appartient la RBI?
MOISE
(un ton blasé)
IVAN Rostovski, milliardaire russe, 30e place au classement Forbes, ami du président russe, réputation sulfureuse, je sais tout ça... j'entends ce refrain tous les j...
SANDRA
... On le soupçonne d'utiliser sa banque pour des opérations de blanchiment.
MOISE se marre. Il est vraiment dans la peau d'ALICE
MOISE
Bien sûr et d'enlever les petites filles aussi.
SANDRA
Vous croyez que je plaisante ? Vous croyez que ça nous amuse de devoir enquêter sur des gens qu'on a autorisé à s'installer chez nous ? Vous croyez qu'on fait ça juste parce qu'on a un vague pressentiment ?
MOISE réfléchit. Quelque chose le gêne. Il continue finalement.
MOISE
Qu'est-ce que vous voulez en fait?
SANDRA
Que vous nous aidiez à en savoir plus...
MOISE
Vous voulez que j'espionne ma banque ?!
SANDRA
Oui.
MOISE se marre de nouveau.
MOISE
Et... je suis payée combien?
SANDRA
... C'est une question d'argent?
MOISE
Juste pour savoir. Ça m'intéresse.
Où l'on voit ici l'intérêt de tourner en studio : caméra derrière le canapé à la place du mur











SANDRA
On vous offre la possibilité d'échapper à la justice quand tout le monde se fera arrêter.
MOISE
...
SANDRA
...
MOISE
Non, ça ne marchera pas.
SANDRA
Comment ça?
MOISE
Tu vas lui faire croire que tous les employés de la banque vont être accusés de complicité?
SANDRA
...
MOISE se lève brusquement. Il se précipite pour ouvrir la porte du bureau. Il sort dans le couloir.

Ecriture

Je savais en l'écrivant que la scène était trop longue. Je me disais qu'on la réduirait au montage. On aurait alors une meilleure idée de la durée idéale pour la scène. Je ne voulais pas décider trop tôt de ce qui serait superflu ou non.

Dans ce scénario, la moindre coupe, la moindre modification des dialogues pouvait avoir des conséquences désastreuses sur ce château de carte qu'est l'intrigue. C'est une histoire "ficelée" comme on dit. On ne peut couper les ficelles à la légère. On ne s'en rend pas compte sur le moment mais un jour on réalise que la coupe opérée déséquilibre d'autres séquences. C'est pourquoi j'étais plutôt rétif aux changements de texte suggérés par les comédiens. Dans l'urgence du tournage on peut manquer de lucidité et accepter une facilité de dialogue. Mais on n'en voit pas tout de suite les conséquences. Il faut rester froid sans pour autant être rigide car quelques fois le texte est tout simplement impossible, il faut le reconnaître. Le moment est difficile à gérer et tout peut basculer. C'est de la faute de l'auteur. Il n'avait qu'à y penser avant.

Préparation

Je me suis longtemps demandé à quoi devait ressembler la planque de Moïse. Pendant un temps, quand l'action du film était située à Londres, la planque était simplement le dernier étage de l'ambassade de Russie. Classique. Mais à Monaco il n'y a pas d'ambassade de Russie. J'ai réfléchi alors à un autre lieu, genre cabinet d'architectes, d'avocats, d'audit. Un endroit qui justifie qu'on se réunisse à plusieurs. Et finalement nous avons opté pour un simple appartement loué.
Cette hésitation sur la nature du lieu a des conséquences sur le décor final. Il n'est pas aussi fort qu'il devrait l'être. Parce qu'il ne s'appuie pas sur une idée forte. Les combles aménagées de l"ambassade de Russie à Londres, ça c'était mieux, plus fort et du coup toutes les scènes auraient été plus faciles à tourner. Là, malheureusement, à cause de cette indétermination sur la nature du décor, le tournage, le découpage, la mise en scène, ont été compliqués, laborieux. Le décor n'était pas en cause, c'est le concept sous le décor qui était responsable.

Tournage

Je voulais faire beaucoup de plans, j'ai fait beaucoup de plans, malheureusement le Chef Opérateur n'a pas pu me laisser tourner à deux caméras dans des axes différents. C'est une des seules fois où je n'ai pas pu placer mes caméras dans un angle de 90°, je devais les placer dans le même axe. La lumière était compliquée et Pierre Novion m'a demandé d'accepter cette contrainte. Résultat je n'ai pas la richesse de découpage souhaitée et n'ai pas pu suffisamment compenser le côté statique de la scène par un filmage riche.
Faute de s'appuyer sur un concept solide, le décor ne m'a pas inspiré. Il y avait peu d'amorces (contrairement à la salle des marchés) et j'avais l'impression de filmer platement. j'ai bien essayé de faire des mouvements comme dans The Wire mais le temps pris par la lumière ne m'a pas laissé assez de liberté. Bref j'ai été frustré et ça s'est retrouvé au montage.

Comme toutes les scène d'exposition, cette séquence était importante pour JD. Il fallait donner le ton du personnage dans un registre qu'on n'aurait pas le temps de beaucoup développer : son côté teigneux, irrité par son équipe, soucieux du travail bien fait, dur et sans indulgence pour ses collaborateurs.

Il y a eu un dosage à trouver entre les informations à distiller (sur Rostovski, sur la mission) et le caractère du personnage. Le côté informatif est toujours, TOUJOURS, une plaie. C'est ce qui ne peut pas être joué, ce qui ne devrait pas pouvoir être joué.
Un comédien qui sait très bien jouer ces textes informatifs est un faux ami. Il vous empêche de réaliser que votre texte est mauvais ou médiocre. En le jouant bien, il vous rend un mauvais service.
Les très bons comédiens n'y parviennent pas. Un très bon comédien n'a pas le devoir de savoir tout jouer et certainement pas un mauvais texte. Le très bon comédien, au contraire, est une sorte de baromètre de qualité. Quand il n'arrive pas à jouer votre texte, c'est que le texte est nul.
C'est le cas de JD.
Le problème c'est que quand il galère pour jouer votre mauvais texte, on est en général sur le tournage et c'est trop tard pour en changer ou du moins pour amender le texte de façon satisfaisante.
D'où l'intérêt des répétitions.

Montage

Peu inspirés, nous avons livré une première version de cette scène où nous avions quasiment tout coupé. Il ne restait même plus les emportements de Moïse, ce qui me plaisait pourtant le plus au tournage. Nous n'aimions plus le jeu des comédiens, le filmage, les idées de mise en scène. Tout nous irritait. Tout nous semblait mauvais. Nous n'avions gardé que le strict nécessaire.

Nous avons montré ce premier montage à JD qui n'en a pas cru ses yeux : où était passé la scène ? "Moïse n'existe pas" nous dit-il. Sans colère. Juste une constatation cruelle.
A force de couper nous avions fait disparaître le personnage. Nous sommes revenus à la raison. Ce n'est pas pour autant qu'on a tout de suite trouvé le bon rythme et le bon moment pour créer une ellipse dans la séquence qui était définitivement trop longue et trop explicative (voir le texte en jaune finalement coupé).

Cette séquence a eu un drôle de destin. A l'écriture je l'aimais beaucoup. Séquence jubilatoire comme la scène d'exercice du début des Patriotes. Puis, au fur et à mesure des ré-écritures successives, ici pour améliorer la compréhension, là pour ne pas trop froisser Monaco, la scène est devenue laborieuse. Résultat : un décor un peu flou, des acteurs qui courent derrière la scène, la lumière qui prend trop de temps, un montage bridé par un nombre trop faible de bonnes prises.
Et au final, une séquence que nous avons oublié d'apprécier.
Il a fallu faire beaucoup de détours pour retrouver l'enthousiasme du début d'écriture. Beaucoup de travail, de cogitations, de tentatives et d'engueulades. Pour finalement aboutir à quelque chose qui est quand même satisfaisant même si ce n'est pas tout à fait la séquence dont j'avais rêvé.
Le ver était dans l'écriture. Il est toujours dans l'écriture.













17 février 2013

Möbius Séquence par Séquence 2

Exposition d'Alice
Séquence 2


L'exposition du personnage principal, Alice, a elle aussi fait l'objet de tractations importantes au moment du montage. La séquence a été coupée de différentes façons puis partiellement reconstituée. Arbitrage entre l'efficacité, le rythme et le sens. 



Voici la séquence telle qu'on la trouve dans la version "shooting script" du scénario avec, surligné en jaune, ce qui a été coupé au montage.








Ecriture

D'abord Alice, ensuite Moïse, tel a été l'ordre initial de présentation des deux personnages du film. Alice en est le personnage principal et surtout le plus original. Une femme ambitieuse, brillante, mordante ("individualiste, gros complexe de supériorité, antipathique" dit Moïse), ironique, amorale. Elle sait ce qu'elle veut et elle se connaît bien. 
Elle sait reconnaître quand elle trouve de l'or. Elle sait parfaitement la valeur de ce que lui donne Moïse. Et elle sait parfaitement s'abandonner totalement à lui, lui offrir sa plus grande intimité, elle, la forteresse, la tueuse. Elle sait ce qui lui manquait, elle sait quel prix payer pour le garder quand elle le trouve.
Un vrai mélange de solidité et de sensualité, sans jamais je crois abandonner une des deux facettes du personnage. C'est ce qui a certainement convaincu Cécile d'accepter le rôle.
Personnellement, c'est le personnage féminin que je préfère parmi ceux que j'ai créés.

Alice donc, dans le contexte de son métier. Une scène où je devais montrer son intrépidité, son intelligence, son humour. Ecrite avant la crise de 2008, je l'ai mise à jour en intégrant les nouveaux éléments liés à la crise des dettes souveraines en Europe. Il était déjà question de titrisation dans les première versions.
Saïd a été présent dès les premières versions. Au début, l'histoire se situait à Londres, d'où l'origine indienne du personnage. Après la "délocalisation" à Monaco, j'ai conservé cette origine car j'aimais bien l'idée de renforcer l'aspect cosmopolite de l'histoire.

Möbius n'est pas l'histoire d'un officier du FSB qui tombe amoureux de son agent. C'est l'histoire de deux personnages qui tombent amoureux l'un de l'autre. Le personnage masculin ne prend pas le pas sur le personnage féminin. C'est pourquoi nous avons toujours, Pascale et moi, résisté aux nombreuses demandes des producteurs de commencer le film avec Moïse. Nous ne voulions pas dénaturer cette histoire en la faisant pencher vers "l'histoire d'un homme".
Möbius est avant tout l'histoire d'une femme en fait.

Préparation

La salle des marchés a été le décor le plus compliqué à trouver. D'abord parce que nous voulions un décor "monégasque", c'est à dire une salle des marchés installées dans un vieux palais donnant sur la mer. Mais les réalités des coproductions, nous obligeant à tourner en Belgique et surtout au Luxembourg, ont considérablement compliqué la recherche de ce type de décor. Nous l'avions pourtant trouvé, au Luxembourg et même en Belgique, mais nous n'avons pas eu les autorisations pour l'un, les bonnes dates de disponibilité pour l'autre. Jusqu'au dernier moment nous avons cru avoir les bons décors. C'est à dix jours du tournage de ces séquences que nous avons trouvé la sorte d'espace, dans un immeuble vide du Luxembourg, qui pouvait, aménagé comme il faut, faire office de salle des marchés. C'était plus triste que prévu mais l'équipe déco s'est quand même bien débrouillée. Beaucoup de "fonds verts" donc pour les baies vitrées qui donnent sur la mer.

Mais j'ai du renoncer à un principe auquel je tenais : les décors russes devaient évoquer la modernité, le high-tech, l'argent récent et Monaco et Bruxelles la vieille Europe, pleine d'histoire et de palais un peu rococo. Le plan de travail et les configurations de productions ont eu raison de ce principe qui exigeait plus de liberté sur le choix des décors et du plan de travail.


Afin de lui faire travailler cette facette du personnage, j'ai donné des cours de finance à Cécile de France. Nous nous sommes vus plusieurs fois cinq mois avant le tournage pour des séances de quelques heures où j'essayais de lui donner les bases nécessaires à la compréhension de ce qu'est la titrisation, le marché des dettes et le métier de trader. Elle prenait des notes consciencieusement. J'essayais d'être le plus concret possible, comparant le marché à une mer dont on observe longuement les mouvements avant d'y plonger rapidement la main pour attraper un poisson.

Quand elle est arrivée sur le tournage elle avait tout digéré, tout "métabolisé" et elle a su ressortir le texte comme si elle comprenait absolument tout. C'était fascinant. Elle s'était transformée. Je ne sais pas comment elle a fait. Elle a pris des notes et cinq mois plus tard elle était trader. Magnifique. J'étais ce jour-là fasciné par son travail. Alice était définitivement née.

Nous avions aussi pas mal travaillé son "look" de travail (lunettes, cheveux attachés) et ses attitudes (je lui avait demandé de trouver des positions rigolotes par rapport à son bureau. Il en est surtout resté les pieds sur la table, il n'y avait pas assez de séquence pour travailler cette idée). 
Elle devait être très détendue, très "casual". La salle des marchés est son espace. C'est là qu'elle excelle.


Tournage

J'aimais bien ce décor car il me donnait beaucoup d'amorces. Dès qu'il y a des amorces (ces morceaux d'objets, de meubles, de personnages à mettre au premier plan, flous, afin de donner du relief ou du sens à l'image), je suis heureux.
L'espace de ce faux studio n'était pas aussi modulable que j'aurais voulu. Je préfère tourner en studio car je peux alors mettre mes caméras là où le point de vue le commande et non là où les murs le permettent. Bref, en studio il y a une vraie liberté syntaxique. Le studio favorise l'affirmation du point de vue. Le décor naturel la soumission au réel. (quand il est trop petit bien sûr)

C'est dans ce décor que j'ai le plus importé ce que j'avais expérimenté sur Mafiosa : tournage à deux caméras, multiplicité des angles, des valeurs, usage des amorces, le tout en mouvements imperceptibles (appris dans Friday Night Lights et dans The Wire), émancipation de toutes les règles de filmage. Plus il y a de plans et plus on peut désobéir aux règles. 

Néanmoins je regrette quand même d'avoir du tourner dans ce décor choisi et construit au dernier moment. Je le trouve un peu plat par rapport à ce qu'on voulait faire avec Philippe Chiffre. On avait plus d'ambition pour ce lieu. Les scènes auraient été plus fortes.La réalité a eu raison de nous et de nos espoirs.







Post Production
Toujours les grosses discussions sur le début du film. On "s'appesantissait" trop, il fallait que ce soit "plus dynamique", qu'on "rentre" plus vite dans le film. 
Et je crois qu'il y a toujours eu cette résistance qu'on nous a opposée de faire commencer le film par le personnage féminin.
Dans une seconde version nous avons donc coupé la séquence au point de n'en faire qu'une séquence d'action froide : une femme prend des positions risquées. On avait coupé tout le dialogue préliminaire. Puis finalement nous avons décidé de le remettre, quitte à ne pas remettre tout. Nous avons voulu conserver cette espièglerie du personnage avant qu'il n'agisse. La séquence aurait trop plate et trop informative à notre goût. Le personnage devait déjà avoir quelque chose à lui et ne pas se réduire à sa fonction.
C'est ce qui est le plus important dans la construction d'un personnage : 
qu'il ne se réduise ni à sa fonction narrative dans le scénario, ni au métier qu'on lui a imaginé. Il doit échapper à la logique qu'on a créée pour lui. Ce n'est qu'à cette condition qu'il existe.








Au final, cette séquence aura fait l'objet de beaucoup de préparation et d'attention. Normal, c'est la première séquence avec Cécile de France, la séquence d'introduction du personnage, en anglais qui plus est. C'est la première apparition d'Alice, celle qui propose un personnage, donne un rythme.
Et finalement elle aura été longue à monter, sans cesse coupée et recoupée. Nous l'avons défendue car elle avait une valeur politique. Elle a représenté un enjeu lié à la place du personnage féminin dans le film, et au point de vue également : point de vue de l'homme, de la femme, des deux ?
Elle n'est pas essentielle au film. Ce n'est pas elle qui fait le film contrairement à la séquence de rencontre, la séquence d'amour, celle du téléphone et bien d'autres. C'est une séquence stratégique pour le premier quart d'heure et pour la crédibilité et l'épaisseur du personnage principal.









09 février 2013

Möbius Séquence par séquence 1

La bataille de l'ouverture 
Séquence 1 

La première séquence du scénario a été l'objet d'une terrible bataille au montage, une lutte âpre et longue qui a pu tourner au conflit et qui s'est soldée par le déplacement de la séquence. Le film devait commencer par elle et nous avons défendu le scénario jusqu'au bout.
Puis nous avons cédé : elle n'ouvre plus le film.


Voici la séquence telle qu'elle figure au scénario :


Le début d'un film représente toujours un enjeu important et particulièrement aux yeux des producteurs. Les spectateurs vont-ils rentrer dans le film ? Quand ? Comment ? A quelle vitesse ?
Le montage du premier quart d'heure est toujours l'objet de discussions tendues, passionnelles.
Möbius n'a pas été une exception.

La séquence était un peu bavarde et très vite nous avons coupé du dialogue au montage pour n'en garder que l'essentiel. C'était un parti pris de scénario de commencer de cette manière énigmatique, en vendant un peu la mèche mais pas tant que ça puisque de toute façon on n'était pas sensé comprendre de quoi ils parlent.
A l'écriture du scénario j'ai longtemps cherché la meilleure place pour cette séquence.
Il s'agissait de mettre les américains dans la boucle le plus tôt possible afin de dire tout de suite que cette histoire est plus large qu'elle en a 'air.

Nous avons longuement cherché une "villa New Jersey" en Belgique, là où la configuration des co-productions et du plan de travail nous obligeaient de tourner. Nous avions une seule journée pour tourner cette séquence ainsi que la séquence 16 qui se déroulait dans le même décor.
C'était trop peu. 
Il n'était pas du tout évident de reconstituer l'ambiance américaine dans une de ces villas en Belgique et les moyens donnés au chef décorateur étaient très limités. Il a fait ce qu'il a pu et la villa était ce qu'elle était. Bref, le décor remplissait sa fonction sans que ce soit extraordinaire. Pas terrible pour commencer un film...
J'avais prévu un plan de grue - commencement du film oblige - mais la météo très défavorable m'a empêché de le faire. La séquence d'ouverture avait donc encore moins d'envergure.
J'étais très heureux de tourner avec Wendell Pierce et John Scurti (respectivement héros de "The Wire " et de "Rescue Me". Ils ont été très attentifs, très gentils et très professionnels. Et très drôles aussi, détendus mais sérieux. Un vrai plaisir.




Mais le temps qui manquait et les mauvaises conditions météo qui nous freinaient ne m'ont pas permis de faire aussi bien que j'aurais voulu. Je sentais que la séquence serait un peu plate, filmée sans grande inspiration. Je devais la finir. Je devais la livrer. Et je ne pouvais pas trop faire plus.

Au montage pendant très longtemps cette séquence est restée à sa place, c'est à dire en pré-générique suivie, après la phrase : "Monaco, Ivan Rostovski, the russians...", par les plans d'hélico au-dessus de Monaco. Cette réplique est d'ailleurs restée dans la bande annonce, mais elle n'est plus dans le film.

En effet, à chaque projection, la production faisait pression sur Pascale Fenouillet et moi pour que nous commencions le film autrement (certaines propositions alternatives nous semblaient grotesques). Nous refusions systématiquement. Au scénario, ça fonctionnait  et même si la scène n'était pas aussi brillante qu'il aurait fallu pour une scène d'ouverture, on aimait bien commencer par cette sorte de "choeur". C'était un flash-forward utilisé de façon un peu perverse. C'était aussi un hommage à une scène de "Prince of New York" de Sydney Lumet. On aimait cette façon un peu bonhomme, anodine de commencer l'histoire.

Puis finalement, une fois la tension retombée, alors que le montage image était terminé, alors que j'était en train d'assister au mixage de la musique avec Jonathan Morali, j'ai appelé Pascale et lui ai demandé d'essayer de déplacer cette séquence. Il fallait essayer pour voir puisqu'on nous le demandait. Il fallait du coup la monter différemment. Pascale a travaillé dessus dans son coin puis m'a envoyé le résultat au studio de mixage.

J'ai du admettre que le début du film était plus impressionnant (directement avec les plans de Monaco). Mais le remontage de la séquence et son déplacement à la suite de la séquence 15 amenaient de nouveaux problèmes.
Nous avons néanmoins décidé de valider ce changement de dernière minute, à la joie de tous ceux qui nous le demandaient (et ils étaient nombreux). C'est probablement une des choses qu'on regrettera.
Certaines décisions comme ça se font sous la pression du temps et de la date de sortie.
Mais ces décisions se prennent aussi en fonction d'un ensemble. J'avais en fait d'autres fronts à tenir qui nous semblaient plus essentiels même si celui-là n'était pas annexe. D'autres moments du film ont été l'enjeu de grosses discussions. Il fallait lâcher là où notre conviction n'était pas de 100%. C'est ce qu'on a fait.
Un début plus fort, c'est vrai, du moins plus percutant (gros concept aujourd'hui, la percussion !).
Une petite entorse au scénario. Des conséquences narratives certaines assumées au nom de l'efficacité.
De grosses tensions.
C'est l'histoire de la séquence 1.

La séquence 1 a été tournée entre le jour 23 et le jour 30.
Je n'ai pas tweeté le jour du tournage de cette séquence. J'avais interrompu l'exercice à cette période.