15 avril 2013

Möbius Séquence par Séquence 9

Séquence 16
Le couteau dans le plaie


La séquence 16 a changé de statut. 
Elle était une sorte de roc sur lequel venait échouer toutes les hypothèses de changements narratifs.
Elle était coercitive et a interdit pendant longtemps tout débat sur le début du film.
Finalement elle a plié.
Elle représente le point de rupture entre le scénario et le film. 
Mais les véritables sujets dont elle était l'enjeu la dépassaient de loin.

Entre averses et rafales de vent, un plan large sous un soleil qui n'allait pas tenir plus de 4 minutes










Voici le texte de la séquence 16 (en jaune les coupes).



Pendant longtemps les producteurs nous ont demandé de ne pas commencer le film avec la séquence 1. Soit on me suggérait de commencer avec une scène entre Moïse et Cherkachin, soit avec l'arrivée sur Monaco. Mais ils ne voulaient plus de cette séquence 1 sur ces américains peu sexy dans un décor peu sexy.
Il est probable que les conditions de tournage déplorables dans ce décor, qui m'ont empêché de faire des plans amples et en particulier un plan de grue, n'ont pas joué en faveur de cette ouverture prévue de longue date dans le scénario.

Pendant longtemps j'ai opposé la séquence 16 à tout déplacement de la séquence 1. Comment passer du petit mot "On a essayé de me recruter" qu'Alice remet à son agent de contact, le Psy, à la séquence 16 si on n'a jamais vu les américains dans la séquence 1 ? 
Tout ce début de film était censé être raconté par le personnage que vous voyez sur la photo ci-dessous (Tom Scurti). Avec la séquence 16, on bouclait la première boucle et on lançait la véritable intrigue.
Avec la séquence 1 qui sautait, c'était tout le dispositif qui sautait.
Un casse tête qui nous a longtemps permis de nous opposer à toutes les tentatives de pression pour modifier ce début de film.
En réalité, c'était une bonne raison mais pas la raison principale. La vraie raison était que nous aimions la séquence 1 là où elle était, point à la ligne. Nous aimions commencer le film comme ça, par un choeur moderne et "casual".

Il y avait néanmoins quelques points faibles dans notre position.
- Il est certain que l'ouverture du film sur les plans aériens de Monaco était plus forte et plus percutante.
- Le tournage de la séquence 1 (et de la séquence 16 tournée le même jour - nous ne pouvions tourner qu'une seule journée dans ce décor) ayant pâti de très mauvaises conditions météo ne m'avait pas permis de proposer une ouverture formidable. bref, avec cette séquence, le film commençait sans panache.
- Il y avait eu une version du scénario qui ne commençait pas par les américains. Mais du coup leur première apparition était évidemment gérée de manière différente. Cependant une ouverture par les américains avait donc déjà fait l'objet d'un débat à l'écriture, il n'était donc pas impertinent d'ouvrir de nouveau ce débat.

C'est pendant le mixage de la musique, donc dans les derniers jours avant mixage du film, donc vraiment au dernier moment, que je me suis dit : pourquoi ne pas essayer quand même ?

Il y a un moment où les positions de principe ne tiennent plus. Un moment où le film demande qu'on pense à lui et pas à autre chose. Il y a un moment aussi où il faut prendre en considération ce qui ressort des différentes réactions. Il ne faut pas tenir compte de CHAQUE réaction, de telles ou telles réactions qui peuvent être stupides ou méchantes. Il faut tenir compte de ce qui se dégage de la masse.
Par exemple, à l'issue de la projection d'un montage du film, un des co-producteurs m'a dit en substance: "Ça ne m'intéresse pas de commencer sur ces types, je n'ai pas envie de les voir, c'est qui ces zozos ?".
Ces zozos ? Wendell Pierce et Tom Scurti ?
Rien que pour cette phrase, je me suis juré que jamais je ne toucherais au début du film. 
Mais ce n'est pas parce qu'une opinion est exprimée de façon vulgaire et désagréable qu'elle n'en rejoint pas moins un sentiment partagé qui peut être pertinent.
Il m'a peut-être fallu plusieurs semaines pour me remettre de cette remarque ignoble, négation de tout mon travail, de tout ce que j'aime.

Mais à un moment, le film demande qu'on pense à lui. Et plus seulement à soi. Il demande qu'on ravale son égo, ses affects et qu'on pense à lui.
Alors j'ai pensé à lui et je me suis dit : qu'est-ce qui se passe si on retire la séquence 1 du début, on la colle avant la séquence 16, on coupe une partie du dialogue qui interdit l'opération et on voit ?
Il fallait voir. Il fallait essayer. On devait bien ça au film.

Voici la séquence 1 avec les coupes effectuées qu'il faut donc imaginer collée au début de la séquence 16 ci-dessus.

Dans ce cas là on se demande : alors qui est responsable de cette situation ? L'auteur du scénario ? Le réalisateur ?
Les deux, je pense.
Les difficultés liées à la place de la séquence 1 proviennent probablement de l'aspect explicatif de ces deux séquences. Il aurait peut-être fallu trouver un autre biais qu'une réunion entre les trois personnages au cours de laquelle l'officier responsable d'Alice la refile aux autres parce que la mission, à cause de ce hasard incroyable, va probablement changer de statut.
Mais il est vrai que la mise en scène un peu plate n'a rien arrangé. Le dispositif des trois personnages assis dans le jardin était statique. J'ai voulu montrer qu'une discussion importante, aux enjeux majeurs, pouvait se dérouler non loin de la piscine et des enfants qui jouent. Mais je n'ai pas su le rendre aussi fort que j'aurais voulu. Le décor, la météo, le temps de tournage, tout ceci ne m'a pas permis de beaucoup briller. Du coup la mise en scène n'a pas pu imposer son point de vue et a laissé le scénario se débrouiller tout seul.
Au montage, ne pas changer les séquences de place aurait probablement permis une meilleur lisibilité au prix d'un début moins fort.
Nous avons arbitré en faveur du sentiment général (même si souvent exprimé avec peu de respect).

Mais c'est aussi et surtout parce que cette bataille s'intégrait dans un ensemble où d'autres fronts étaient autrement plus importants. D'une certaine manière j'ai fait cette concession pour préserver l'essentiel. Il y a d'autres scènes qui ont été l'objet de terribles pressions et celles-là il était hors de question de concéder quoi que ce soit. C'était l'affirmation du film qui était en jeu. Pour préserver cette affirmation j'ai lâché sur ce qui m'a semblé plus accessoire.
Et cette affirmation concernait la place du désir charnel et de la relation amoureuse.
Sur cette question, j'aurai été intraitable. Il était vain de venir m'y chercher.
Wendell Pierce... Mister Wendell Pierce (The Wire)




06 avril 2013

L'homme politique doit-il être un homme ?


Pour essayer de penser « l’affaire Cahuzac », il faut essayer de se libérer de ce voudrait nous en faire penser la parole publique.
Il est de plus en plus difficile de séparer aujourd’hui l’information de l’affect dans les médias. Les médias ne nous informent moins qu’ils informent nos affects.
Inutile de compter sur les hommes politiques pour nous aider. Ecouter Mélenchon ou Copé ou tout défenseur du gouvernement c’est tendre le cou pour se faire pendre au réverbère de l’abrutissement intellectuel. Ils pensent pour nous. Ils sont offusqués. C'est la faute de celui d'en face.

L’affaire Cahuzac, donc.
Un homme, chirurgien esthétique avant que d’être politique, a placé son argent dans un paradis fiscal afin de le soustraire à l’impôt. Cet homme a été plus tard nommé ministre du budget, ses compétences ont été reconnues par la classe politique tout entière, sa rigueur a été saluée, il faisait partie des réalistes de gauche, du centre gauche, voir de la droite du centre gauche,  tout pour plaire, ou déplaire à tout le monde. Et surtout aux pères la morale, aux idéologues, à Edwy Plenel et Médiapart en particulier.
Son secret a été « balancé » et, drapé dans sa réputation de rigueur, de droiture intellectuelle et de mesure politique, le chirurgien ministre s’est enfoncé dans la « spirale du mensonge ». Mal conseillé peut-être, il a nié, nié puis nié encore, espérant que s’essouffle la campagne contre lui, et que s’essouffle la justice.
Mais surtout, le ministre ne pouvait revenir en arrière car il avait menti à celui qui lui avait fait confiance, à celui qui l’avait nommé, qui lui avait donné son nom : le Président, le Parti, le Père, qui vous voulez : Celui qui l'aimait.
Mentir à celui qui vous aime, celui qui vous a fait c’est se condamner à vous enfoncer dans le mensonge, à aggraver la faute, à ne plus pouvoir l’avouer ni se la faire pardonner.
Qu’importe la position de ministre, qu’importe le fait d’être ministre du budget, de la rigueur financière, de la lutte contre l’évasion fiscale alors même que vous faites partie des voyous. Qu’importe cette réalité là.
La réalité humaine est plus forte, elle balaie les idées, les idéologies et les principes politiques ou moraux.
Vous mentez à celui qui vous aime pour obtenir ou renforcer son amour.
Plus vous mentez par amour et moins vous pouvez vous en sortir car ce que vous allez perdre c’est ce pour quoi vous avez menti.
Qu’importe que Cahuzac affaiblisse le Président, le gouvernement, la gauche, la République, la France.
Qu’importe parce que c’est faux.
Il est faux de dire qu’être humain affaiblisse quoi que ce soit.
Cahuzac montre qu’un homme politique est un être humain misérable comme les autres. Il le montre après Strauss Kahn.
Nous devons nous demander pourquoi nous voulons à ce point que les hommes politiques soient moins humains que nous, moins misérables que nous. Pourquoi la misère serait notre lot à nous et leur serait épargnée à eux.
Parce qu’ils ont le pouvoir ? Ils ne sont pas nés dedans. Ils sont nés hommes comme nous avant que d’être hommes politiques. Le pouvoir,  nous le leur donnons. Et nous faisons attention à ce qu’ils n’en abusent pas. C’est pour cela que nous avons des contrôles, une presse libre et une justice indépendante. C’est bien parce que nous savons que nos hommes politiques sont humains.
Cessons de nous offusquer. Le tricheur a été démasqué. Nous aurions du mieux nous protéger en exigeant de meilleures modalités de contrôle. Nous aurions du exiger que le pouvoir que nous concédons à certains hommes soit compensé par un contrôle plus adroit, plus puissant. Et si nous avons failli, nous devons simplement en prendre acte et aller plus avant dans les réformes de notre démocratie.
Aux USA, le dispositif est plus dur. Un Cahuzac n’aurait jamais été nommé ministre. Le cadavre dans son placard aurait été découvert bien avant.
Mais nous, en France, nous pensons que les hommes sont purs, doivent être purs. Pas besoin de dispositif pour nous protéger !
Il suffit juste que nos hommes politiques ne soient pas humains ! C’est bien plus simple, bien plus sûr.
Et bien plus désastreux.
Nous sommes des idéalistes et c’est cet idéalisme qui se retourne contre nous. Nous sommes romantiques et nous nous faisons du mal.
Cahuzac nous a menti comme nous, nous nous mentons à nous-mêmes.
Non, ce n’est pas d’être humain, messieurs les Robespierre, qu’un homme politique peut nuire à notre société ou même la déshonorer. Ce n’est pas d’avoir un compte bancaire secret, de se soustraire à l’impôt, d’interdire aux autres ce qu’on fait soi-même, de mentir ou de voler.

C’est d’être inhumain. C’est d’être un dictateur, de se servir de la politique pour manger le peuple, de tuer au nom de la pureté et de se prendre pour Dieu.