20 avril 2014

Le champ de ruines

Le paysage politique français est un champ de ruines.

La droite ne sait toujours pas si elle est libérale. Au pouvoir elle ne l’est pas, trop effrayée par  une France qui semble se cramponner à son modèle social, modèle qui aujourd’hui ne s’acclimate au nouveau monde qu’au prix du chômage et de l’anémie économique.
Dans l’opposition elle souffre de son culte du chef, entre le fantôme d’un commandeur qui ne parvient pas à dire s’il revient ou non et des prétendants transparents, effrayés par ce même commandeur, et dont les vociférations sont aussi pathétiques que vaines.

Le centre est malade de ses leaders, malade de son discours, aussi paradoxal que cela puisse paraître alors que la France se gouverne justement au centre. A cet égard, l’erreur de François Hollande d’avoir rejeté d’un revers de main l’offre de François Bayrou qui l’avait soutenu lors du second tour de l’élection présidentielle, révèle l’impuissance générale des politiques français à accepter l’idée d’une recomposition inévitable du puzzle politique national.
Un puzzle politique qui va probablement se désagréger totalement avec l'une de ses pièces maîtresses. Le Parti Socialiste, comme toute la gauche, a été mis en cause par le traité de Maastricht,  il est mort lors de sa scission idéologique de 2005 et vit depuis comme un zombie. Aujourd’hui, il est en train de redevenir poussière.
François Hollande a probablement fait sa plus grosse erreur en essayant à tout prix de conserver l’unité du Parti Socialiste après le vote contradictoire sur l’Europe. Ce faisant il sauvait la machine mais l’envoyait dans le mur.

Le vote sur le traité constitutionnel européen avait éclairé des lignes de fractures, non pas entre différents courants, entre différentes sensibilités, mais entre une gauche qui voulait se repenser à la lumière de la mondialisation et cette gauche dans laquelle le même François Hollande s’empêtre, qui ne sait plus dans quel gouffre se précipiter, celui proposé par Manuel Valls où celui de la dissolution, les deux signifiant la même chose : la fin.
D’avoir voulu éviter la scission, François Hollande n’a fait que retarder l’heure de vérité. Chaque jour de retard a augmenté les dégâts qu’allait créer la déflagration. Nous y sommes. Elle aura comme nom dissolution, non pas de l’assemblée mais probablement du Parti Socialiste lui-même, dissolution dans le néant idéologique d’une gauche qui n’a jamais su penser ce qu’elle pouvait devenir à partir du moment où le monde avait choisi définitivement son système économique.

La France est malade de sa gauche. Elle est malade des illusions que la gauche française veut encore lui imposer. La France est également malade de sa droite qui a toujours – et encore maintenant – avancé masquée, n’osant jamais appliquer un modèle auquel elle se réfère pourtant. On a cru un moment que Nicolas Sarkozy allait donner un coup de pied dans la fourmilière en proposant un tournant libéral. Il n’en a pas eu le courage et ça sera sa faute historique à lui. Personne en France n’a aujourd’hui le courage de remettre la France sur les bons rails. La lutte acharnée pour le pouvoir, un pouvoir qui tourne à vide et entraîne tout le monde dans une mauvaise spirale, voilà à quoi se réduit la politique française. Peu de mots pleins, peu d’idées fortes, peu d’actes vrais. Et nous nous enfonçons toujours un peu plus dans la gadoue des illusions du passé et des noires tentations de l’avenir.
L’échec de François Hollande est d’avoir voulu gagner et gouverner à gauche, malgré la gauche. Il s’est fait élire en trompant sa gauche sachant qu’il pensait la vérité. Il avait planifié d’imposer cette vérité en douceur à une gauche qui ne pouvait l’entendre, pensant que si le message venait de l’Elysée, il serait plus acceptable. Gagner d’abord, dire les choses après. Il s’est pris au piège qu’il avait lui-même tendu. N’ayant pas la majorité pour faire cette nouvelle politique, il ne l’a donc pas fait, c’est à dire mollement. Mollement, ça ne fonctionne pas car la réalité est violente et ne s’accommode pas de médecine douce. Un premier ministre et un secrétaire de Parti Socialiste à l’image de cette stratégie : transparents, inaudibles, inexistants. Des fantômes quand la crise est à son apogée et les souffrances réelles.

Aujourd’hui il est trop tard. Il fallait appeler Valls ou Bayrou dès le départ. Il fallait faire son Schroeder très vite. Et si c’était pour s’échouer sur les récifs de la vieille idéologie de gauche, eh bien tant pis !
Aujourd’hui il est trop tard. Les deux ans perdus ne sont pas rattrapables. Il n’y a toujours pas de majorité pour appliquer le remède, il n’y a toujours pas de syndicat pour l’accompagner, il n’y a que des mécontents, des colériques.
Aujourd’hui il faudrait construire un axe du courage et de la lucidité. Cet axe traverse de part en part le champ de ruines politique. Il passe par un Juppé, un Bayrou et un Valls. Il s’opposerait aux illusions, aux fantasmes, de droite comme de gauche, répondrait coups pour coups aux attaques idéologiques d’une France repliée sur elle même et qui espère vivre sans étranger ou sans capital.

Aujourd’hui il faudrait reconstruire sur les ruines fumantes du paysage politique français. C’est à la faveur des crises que ça se fait. A la faveur de ces convulsions où tout se cristallise, tout s’éclaire, et où un véritable renouveau commence à poindre.